B.3.5.1 L’érotisation en réanimation

Énonçant son expérience de jeune infirmière en service de réanimation, une enseignante témoignait comment à l’occasion des soins d’urgence en réanimation, elle se retrouvait éprouver un intense climat érotique dans son lien avec le médecin anesthésiste-réanimateur. Une fois sortis de l’alvéole145, les deux partenaires du soin se retrouvaient gênés de la proximité libidinale antérieure, et s’évitaient. Hors des temps de soin au chevet des patients, ces «couplages» se trouvaient donc de fait neutralisés. Bien entendu il fallut un certain temps à la jeune infirmière, pour se rendre compte que ce n’était pas le médecin (anesthésiste – réanimateur) qui en «pinçait pour elle» ; que ces éprouvés relationnels étaient fréquents parmi les collègues, qu’en cela ils relevaient d’une position psychique inhérente aux postures soignantes sur ces marges de la vie.

On se trouve là dans une situation de soin où la mort rôde, et où il importe de la tenir en respect, tout à la fois sur le plan de la réalité physiologique pour le patient, mais aussi psychiquement pour chacun des soignants. L’arsenal technologique, les gestes requis, et la vigilance extrême dont ces gestes sont assortis lors des crises, concourent à cette mise à distance. Ces appareillages, ces technologies, ne fournissent toutefois que le support opératoire à partir duquel le contact avec ce «no man’s land» est rendu possible. Dans le lien entre les soignants, c’est très directement dans leur corps, que viennent alors s’inscrire les effets du fantasme, les défenses dont celui-ci est l’objet et l’assise, l’ancrage requis du côté des vivants. Cette configuration de soin : le couplage entre une infirmière et un médecin en réanimation, et «l’éprouvé relationnel», témoignent de la nécessité de mobiliser l’ensemble des forces de vie disponibles, pour être à même d’avoisiner aux portes de la mort. L»érotisation» de la relation, parle le désir dans les corps de chacun des soignants ; il fait appel entre les vivants et vient comme réassurance, comme défense opposée à la «Camarde». Ce «climat érotique» est dès lors à entendre comme la nécessité pour les deux partenaires du couple soignant, de s’éprouver désirant, et en cela de soutenir pour eux-mêmes ce plaisir «d’être» humain, dans la vie. Simultanément, ce «désir» fait appel au patient en ses territoires inconscients, dans le sens où Piera Aulagnier parle d’une fonction de «pare-désinvestissement ».

‘«On a beaucoup parlé de la fonction de pare-excitation tenue par le Moi maternel, pour reprendre la terminologie freudienne, or je pense que la première fonction de la mère (...) c’est d’agir en tant que «pare-désinvestissement « c’est-à-dire de s’opposer aux mouvements de désinvestissements de l’objet, du monde humain qui entoure l’infans chaque fois qu’une expérience est source de souffrance, et contre cela nous continuerons à nous défendre du début à la fin de notre existence, du premier jour, au dernier jour de notre mort» (P. Aulagnier, 1991146).’

Si Piera Aulagnier définit une telle fonction comme étant requise de la mère dans les premiers temps de la vie psychique de l’infans, on perçoit comment cette fonction se trouve aussi active aux derniers temps de la vie. Il y a lieu nous dit-elle, de se défendre du mouvement de désinvestissement que convie la souffrance, et ce jusqu’au dernier jour et aux derniers instants. Dans ce témoignage de soignant, l’érotisation joue aussi de sa séduction, de ce «tirer hors de soi», hors de la souffrance vers un plaisir d’être ensemble, qui à l’instar de la mère relativement à l’infans vient s’opposer aux mouvements de désinvestissement, sous l’égide de Thanatos. Cette érotisation permet aux soignants un évitement, celui d’une impossible confrontation à la souffrance du sujet en réanimation et de la bascule qui le menace, et simultanément représente un appel «originaire » au patient dans ces temps de vacillement, voire de «grand départ147 »

Notes
145.

Les box de réanimations sont appelés alvéoles, dans le langage de certaines tribus hospitalières, peut-être en lien avec la fébrilité qui s’y déploie, et ces états «entre», états dont on ne sait si une nouvelle métamorphose saura s’y révéler, ou si le parcours d’un sujet y trouvera son terme.

146.

Piera Aulagnier (1991), Voies d’entrée dans la psychose - (Communication orale du 27 Janv. 1991, retranscrite par S. de Mijolla-Mellor & N. Zaltzman), in Topique, Revue Freudienne, n°49, Dunod, 1992, p. 7-29.

147.

On songe ici à ces multiples témoignages des soignants ou des familles dont les proches sont «partis» au moment où plus personne ne se trouvait auprès du mourant, où cette position d’«appel», de «pare-désinvestissementnotion pare-désinvestissement notion pare-désinvestissement notion pare-désinvestissement notion pare-désinvestissement notion pare-désinvestissement notion pare-désinvestissement notion pare-désinvestissement notion pare-désinvestissement « n’était plus tenue par quiconque.