Considérons une autre contrée de ce même paysage hospitalier, là où les couplages sont aussi de mise, et où les relations sexuelles sont fréquemment agies. Il s’agit de l’activité du bloc opératoire et des relations entre personnels dans le cadre de cette activité. Les chirurgiens bénéficient auprès des autres professionnels hospitaliers d’une réputation qui frôle l’image d’Épinal - image qui toutefois est loin d’être sans fondements. Dans nombre de services de blocs opératoires on trouve des chirurgiens décrits par leurs équipes, et/ou par l’ensemble du personnel hospitalier, comme des «caractériels». Le symptôme qui serait commun à un grand nombre serait ainsi leurs capacités à faire «profiter» de leur état émotionnel leur entourage, et du coup de ne pas ménager la susceptibilité des autres acteurs, avec lesquels ils se trouvent devoir composer, et s’accorder. Le manque de respect dans les relations y est ainsi fréquemment dénoncé, et fait l’objet d’une plainte importante. Corrélés à cette représentation, les chirurgiens ont une réputation de séducteurs, «d’hommes à femmes». Or, dans la réalité de la vie des «blocs», force est de constater de très nombreux couplages, entre les chirurgiens hommes – la profession demeure dans une très large majorité masculine -, et les infirmières «panseuses», ou «instrumentistes».
Dans ce contexte du bloc opératoire, on se trouve avec une autre émergence de l’angoisse : la gestion qu’elle requiert y apparaît comme la tâche centrale de l’équipe opératoire, au niveau du travail psychique. À l’intérieur du bloc, c’est le geste du chirurgien sur/dans le corps du patient qui constitue le point d’aboutissement de l’ensemble de l’équipe opératoire ; le scalpel (ou ce qui le remplace et en tient lieu) est ainsi le point focal tenant lieu durant l’acte opératoire de nouage identificatoire autour duquel le groupe se coordonne. L’identification touche ici au «faire» et à l’assurance du geste, à un savoir du geste148. Celui-ci condense l’ensemble des dynamiques psychiques qui ont cours dans ces lieux – dynamiques qui emblématisent ce qui se joue dans le milieu hospitalier, soit le couplage réparation - sadisme149. Le geste opératoire consiste en une effraction corporelle qui, dans un certain nombre de situation, va «sauver», mais qui demeure toujours en potentialité de «tuer» – il n’est que de parler d’une ablation de «tumeur», pour entendre la puissance imaginaire à l’oeuvre, ou d’écouter les accents pathétiques et/ou jubilatoires des patients lorsqu’ils parlent de «leur chirurgien». Les fantasmes avoisinent à tel point le réel que la pensée semble le plus souvent impuissante à produire une liaison, à dégager un espace au sein duquel le «Je» va trouver à se configurer. Cet affleurement du fantasme dans le réel est ainsi épinglé par une blague de carabin : «Savez-vous qu’elle est cette différence entre Dieu et un chirurgien ? Et bien, Dieu, Lui, ne se prend pas pour un chirurgien !»
Dans la configuration d’un acte opératoire, le point d’identification groupal peut donc être assimilé à la pointe du scalpel (ou du laser), autour de laquelle s’agglutine le temps de l’intervention la psyché groupale. Dès lors, la construction d’une position de «suffisante» sécurité pour le chirurgien est l’équivalent de la construction de la sécurité de l’ensemble du personnel qui travaille au «bloc». La figure de la «maîtresse» est à entendre dans cette configuration groupale, comme celle qui participe à la mise en sécurité du groupe, à la «gestion» des tensions liées à l’activité et au travail psychique requis. Si elle est «l’élue» (momentanée) du chirurgien, elle est la plupart du temps plébiscitée par le groupe des soignants dans cette fonction de permettre la «décharge» des tensions du chirurgien. Pour qu’une «relation sexuelle» soit à même de se mettre en place, il y faut une «couverture» du groupe soignant, qui autorise alors certaines absences de l’élue, en lien avec le programme opératoire.
Bien entendu les relations entre hommes chirurgiens et femmes soignantes de l’équipe opératoire ne se limitent pas à ce seul schéma. Le couplage reste toutefois une modalité centrale de défense, soulignons ainsi que bon nombre de chirurgiens se trouvent «relativement» pacifiés, lors d’interventions importantes, quand ils peuvent avoir à leurs côtés une personne particulière ; il s’agit donc d’une dynamique où la «maman» peut donner le change à la «maîtresse».
L’ensemble des soins généraux requiert des «modalités défensives» où la pensée est arc-boutée sur le «faire». On se trouve donc sous le primat d’une pensée «opératoire», dont on mesure la pertinence au travers de cette scène d’une équipe, tout entière fédérée autour de la main de l’officiant.
Ce paradoxe a fait l’objet d’une explicitation au moment où nous avons exploré le «forçagenotion forçage notion forçage notion forçage notion forçage notion forçage notion forçage notion forçage notion forçage identificatoire» requis lors de l’accession à ces positions professionnelles.