B.3.6 S’éprouver vivant

Dans les services de réanimation, si la pensée n’était toute ramenée à l’opératoire des actes techniques elle risquerait de se retrouver à errer autour de l’énigme du passage. Dans ces lieux la question de l’investissement se retrouve première, et apparaît comme organisatrice de ce champ d’activité. C’est alors l’intensité des éprouvés (émotionnels et sensoriels) vécus dans ces lieux du professionnel qui fournissent aux sujets dans leur place de professionnels l’assurance qu’ils sont bien vivants. Dans ce contexte ils ont à faire face à la dé-différenciation de l’une des bases fondatrices de la psyché, celle qui sépare la vie de la mort. Ces professionnels sont ainsi contraints de s’assurer (se réassurer) d’une différence. De ce point de vue la différence des sexes constitue «l’indice le plus radical de l’altérité » (E. Enriquez 1987150). La tension générée par l’érotisation est ainsi un puissant antidote à l’angoisse de la confusion.

Au niveau des activités chirurgicales l’érotisation aurait également pour fonction de s’assurer que l’intrusion est du côté des forces de vie 151. On serait aux prises avec la tentative de teinter l’intrusion réalisée par l’acte opératoire à partir du fantasme d’une bonne intrusion, dont le coït serait le modèle. - Au travers d’une sexualité compulsive le «Je» n’a de cesse de vérifier qu’il est toujours en possession de son imaginaire puissance phallique, signant par là même son inquiétude, la castration étant quotidiennement agie dans le réel de l’acte. Ces agirs sexuels auraient aussi pour résultantes de permettre de différencier la jouissance sexuelle et orgasmique, de la jouissance sadique de l’acte.

Ces deux contextes hospitaliers, la réanimation et le bloc opératoire, permettent de souligner (une nouvelle fois) comment dans ces professions du soin «l’objet professionnel » garantit au «Je» une incessante source externe d’excitation. Il s’agit pour le «Je» simultanément de se retrouver dans des situations potentiellement traumatogènes, et de se réassurer de son existence même face aux destructions potentielles inhérentes aux situations confrontées au sein des blocs opératoires et/ou au sein des alvéoles des services de réanimation. Dans ces situations extrêmes, les professionnels ont à mobiliser l’ensemble des forces de vie pour avoisiner les portes de la mort, et à cet endroit le corps et ses éprouvés peuvent être investis comme un refuge offrant le leurre d’une assurance d’être.

Notes
150.

E. Enriquez (1987), Le travail de la mort dans les institutions - in Kaës R. et alii, L’institution et les institutions, Paris, Dunod, p. 91.

151.

Nous trouvons ici des échos à ce que nous avons précédemment dégagé à propos des fonctions remplies par la position professionnelle, dont l’une consiste à «s’assurer de sa consistance».