B.4.1.1 Caractéristiques des expériences énigmatiques

Les expériences énigmatiques se caractérisent par la surcharge signifiante qu’elles revêtent pour le «Je» et par le mode de conservation que celui-ci va réaliser relativement à ces expériences.

Lorsque le «Je» se retrouve à vivre une expérience qui entraîne une sursaturation des signifiants, un excès de sens, il se retrouve dans l’incapacité de l’insérer dans une trame signifiante, sous peine de subvertir les modalités identificatoires antérieures et de dévoiler les montages imaginaires par lesquels il se soutenait (le roman familial, les demandes identificatoires et leurs adresses, ...). Le «Je» conserve alors ces expériences dans leur éprouvé, sur un mode sensoriel et/ou émotionnel, hors liaison dans la représentation. Le témoignage d’une expérience de l’écrivain contemporain Annie Ernaux nous permettra de voir opérer finement cette dynamique et sa configuration par le «Je».

Toute expérience vécue par un sujet est destinée prendre place dans une trame qui fasse l’objet d’une historisation pour le «Je» lui-même, mais aussi pour les différents «autres» privilégiés auprès desquels le «Je» partage son sentiment d’existence (ces autres «Je» avec lesquels il se trouve en co-étayage). Elle doit faire l’objet d’une reprise symbolisante, génératrice de sens, et participer ainsi de façon continue au processus identificatoire du «Je». Toute expérience tend ainsi à trouver un «site» afin de ne pas se transformer en un «objet» psychique errant ou à se constituer en zone clivée. Elle peut ainsi être localisée par le «Je» comme «énigmatique», et trouver place au sein de la représentation au travers de ce statut «d’expérience énigmatique», même si durant un temps elle n’est insérée dans une chaîne signifiante que par cet artifice. Il s’agit de ces registres de la représentation qui sont la représentation que quelque chose échappe à la représentation (R. Roussillon, 1999153), octroyant de ce fait une «localisation» aux vécus énigmatiques. On peut établir ici une analogie avec les secrets de famille qui se révèlent d’autant plus pathogènes qu’ils habitent les sujets à leur insu. Lorsque ceux-ci ont connaissance du fait qu’il y a un secret dans leur histoire, celle de leurs parents et/ou de leurs familles, sans avoir connaissance du contenu, cela permet de calmer l’excitation. Ce savoir sur l’existence d’un secret garantit un temps futur, pour un dévoilement possible, et en cela fait barrage à la charge pulsionnelle qui sourd du secret. Cette pulsionnalité se trouve ainsi circonscrite en un lieu estampillé du sceau du secret.

Une des manières dont le «Je» peut tenter de lier les expériences énigmatiques à sa propre histoire, consiste à les extraire de ce même statut d’énigmatique, en s’engageant dans une quête sur l’énigme qu’il a rencontrée à l’occasion de l’expérience. Ceci suppose toutefois que le «Je» soit à même de circonscrire que quelque chose lui échappe, et de caractériser l’expérience comme sidérante. C’est souvent à l’occasion d’une rencontre traumatique professionnelle «seconde» que cette quête est remise en route par le «Je». Il s’agit alors de situations traumatiques et/ou sidérantes qui échoient au «Je» dans un temps où il se considérait comme à l’abri d’un tel débordement, protégé par son groupe de pairs et ses identifications professionnelles. La «livre de chair» que le «Je» avait sacrifiée à son affiliation au groupe lors du traumatisme initial, était censée le protéger efficacement des rencontres sidérantes et/ou traumatiques ultérieures. Les évènements effractifs qui ont cours lors de l’exercice de la profession rendent possible une interrogation sur la manière dont le «Je» s’était dépossédé d’une part de lui-même dans l’arrimage de ses identifications professionnelles, au bénéfice d’une appartenance groupale. Ces expériences de débordement, d’étrangement, «secondes», précipitent un effondrement de la liaison imaginaire entre le professionnel et son groupe d’appartenance, autorisant le «Je» à réinvestir de la pensée154.

Notes
153.

«...Notre appareil psychique peut représenter, non pas ce qui lui échappe, mais qu’il y a quelque chose qui lui échappe, et cette représentation de l’impensable elle, est facteur de vie.» (René Roussillon [1999], Agonie, clivagenotion clivage notion clivage notion clivage notion clivage notion clivage notion clivage notion clivage notion clivage et symbolisationnotion symbolisation notion symbolisation notion symbolisation notion symbolisation notion symbolisation notion symbolisation notion symbolisation notion symbolisation - Paris, Puf, p. 221. )

154.

De telles opérations consistant à produire un «choc» secondnotion second notion second notion second notion second notion second notion second notion second notion second pour défaire ce qu’un premier «choc» a précipité comme dysfonctionnement de la psyché, comme absentifications (...), ont longtemps été pratiquées de façon «magiques» (en référence à une croyance populaire), dans le milieu psychiatrique, au travers des électrochocs. Une illustration de cette croyance populaire nous est ainsi fournie par les non moins populaires auteurs R. Goscinny et A. Uderzo dans «Le combat des chefs» («Les aventures d’Astérix le gaulois»), au travers des différents «coups de menhirs» dont les druides vont être victimes. Si le premier «coup» assomme et prive le «Je» de sa conscience (et de son pouvoir réflexif), le second a (parfois) la vertu de remettre en route ce qui, du fonctionnement de la psyché, avait initialement été altéré. Les débordements «seconds» dans le champ du professionnel, opèrent selon un mouvement similaire, en permettant (parfois) aux professionnels de s’extraire du clivagenotion clivage notion clivage notion clivage notion clivage notion clivage notion clivage notion clivage notion clivage à partir duquel s’étaient configurés les identifications professionnelles, puisque potentialisant au bénéfice du «Je», une déliaison des pactes et de ses contrats groupaux.