B.4.1.3 Empiètements maternels et agirs transgressifs - Hypothèses

On rencontre un mode d’appropriation de la subjectivité qui procède de la transgression lorsque l’on se trouve en présence de processus d’empiétements de la psyché maternelle et/ou parentale sur celle de l’enfant. Un certain nombre d’expériences qui sont vécues par le «Je» selon ce mode de la transgression octroie à l’expérience un statut singulier. Le «Je» peut ainsi ancrer imaginairement son identité à ces expériences, les considérer comme le témoignage du fait qu’il se situe hors de l’emprise de l’autre maternel et/ou parental, lors même que le statut transgressif le précipite dans le fantasme que cet autre se situerait en position de captation de la loi elle-même, et qu’il ne saurait y avoir d’espace qui lui échappe, sauf à se mettre «hors-la-loi».

Le «Je» sera donc d’autant plus tenté de se précipiter dans de telles expériences transgressives, qu’il se vivra comme par trop proche de la psyché de l’autre maternel et/ou parental. Dès lors, pour préserver des expériences comme échappant à ce contrôle, il va leur octroyer un statut et un site qui les place hors d’atteinte. Une des solutions est alors la création de clivages plus ou moins conséquents de l’établissement de zones étanches au fonctionnement coutumier. Ces zones vont se constituer comme des zones de refuge interne, des territoires imaginairement préservés de l’intrusion de l’autre.

Il importe que ces expériences gardent alors leur potentiel d’étrangeté et de dérangement, de manière à assurer le «Je» qu’il y a bien en lui de l’étranger - de l’étranger au discours énoncé par la psyché parentale/maternelle, mis en place de discours unique -. Il s’agit ainsi de fabriquer de l’étrangeté, pour échapper à l’envahissement de l’autre (étranger-familier) en soi. Pour que ces expériences conservent tout leur potentiel d’émotions et de sensations, elles ne doivent faire l’objet d’aucun travail de pensée élaboratif, d’aucune assimilation avec les expériences antérieures du sujet. Tout travail de liaison par/dans la pensée est redouté comme étant à même précisément de faire passer ces expériences dans une chaîne signifiante que le «Je» subit comme s’y reconnaissant mal, comme lui étant imposée par l’autre - cet autre auquel il ne peut se soustraire. Une liaison de ces expériences au sein de sa propre psyché le mettrait imaginairement à la merci d’un décodage de l’autre.

On se trouve dès lors aux prises avec un refus de secondarisation, un refus de lier ces expériences à la continuité des expériences antérieures. Elles n’ont de valeur qu’à signer une rupture. Ces expériences participent ainsi de la création d’une néo-réalité, d’objets psychiques «errants», déliés de zones clivées, ... Le rapport à l’historisation en est dès lors profondément perturbé, dans la mesure où le processus identificatoire est indissolublement lié à ce processus d’historisation. Le «temps passé» doit se transformer au travers d’un «temps parlé». Une telle dynamique ainsi que le souligne P. Aulagnier, vaut comme source d’apaisement et de «relative» stabilité pour le «Je».

‘«Ce travail de transformation (transformer son passé pour en faire la source et la cause de son présent) devra - ou devrait - aboutir à cette composition relativement stable grâce à laquelle le Je peut substituer à un temps passé [...], un temps parlé, c’est-à-dire un temps historisé, grâce auquel ce même Je peut préserver présente et vivante dans sa mémoire l’histoire qu’il s’est construite de sa propre enfance. Histoire qui protège de l’effacement des images d’un Je passé dans lequel doit pouvoir s’ancrer le Je présent, car aucun Je ne pourrait se saisir en tant que manifestation d’un présent éphémère qui n’a d’autre fonction que de ponctuer l’insaisissable passage d’un temps passé à un temps futur.» (P. Aulagnier 1991160).’

En opposition à ce mouvement de passage à un «temps parlé», un temps «vivant» dans la «mémoire », la temporalité des expériences de transgression devient un temps «hors temps», un temps figé qu’il importe de conserver tel.

Notes
160.

Piera Aulagnier (1991), Voies d’entrée dans la psychose - (Communication orale du 27 Janv. 1991, retranscrite par S. de Mijolla-Mellor & N. Zaltzman), in Topique, Revue Freudienne, n°49, Dunod, 1992, p. 10-11.