B.4.1.4 L’excitation transgressive en place de l’excitation incestuelle

Les expériences transgressives vont ainsi fournir au «Je» de nouvelles sources d’excitations. Le «Je» va s’approprier et transformer ces sources d’excitations en auto-excitations, quand bien même il les rencontrera comme extérieures à lui sous la forme du traumatisme. Ces nouvelles sources d’excitations pulsionnelles vont venir recouvrir l’excitation incestuelle, et ce faisant entraver le processus de différenciation, d’écart, requis par/pour le travail de la symbolisation (R. Roussillon 1999).

Les expériences transgressives condensent ainsi pour un sujet des nouages identificatoires, du fait même qu’elles acquièrent pour lui ce statut de «transgression » et de sortie de ce qui est éprouvé comme un engluement, une aliénation. L’expérience transgressive en ce sens est moins franchissement d’un interdit social (ce qu’elle est aussi), que violation de la tyrannique «loi » maternelle. La configuration engendre un registre paradoxal : il s’agit de transgresser pour faire advenir la loi, faire advenir une limite, une différenciation. Cet appel est donc appel à la loi en tant qu’elle serait à même de convoquer de l’altérité, d’énoncer une limite, d’enjoindre à la non-confusion.

Une boucle paradoxale se met alors en place, en ce que le «Je» se précipite dans l’expérience transgressive, escomptant que son agir transgressif convoque de l’altérité, s’assimilant simultanément tout entier à ses éprouvés, avec l’intention que cette expérience lui octroie un statut «héroïque», un statut d’exception. L’altérité est ainsi déniée sitôt que convoquée, puisque rabattue à l’intérieur de sa propre psyché. Le «Je» semble préférer se perdre dans la confusion de l’expérience transgressive en s’éprouvant comme acteur de ce choix161, plutôt que de perdre l’expérience, en tant qu’expérience corporelle (sensorielle et émotionnelle), en la symbolisant. Symboliser une expérience équivaut à la rendre partageable avec d’autres, et donc susceptible en cela de déloger le «Je» de cette place d’unique qui vaut alors comme «signe» de la séparation radicale qu’il revendique précisément au travers de l’expérience confusionnante. Dans une telle configuration, le «Je» joue une position auto-sacrificielle. Il s’octroie lui-même un statut de héros dans sa propre représentation, et se précipite alors dans un fantasme d’auto-fondation, d’auto-engendrement - Nous avons vu à propos des assignations professionnelles et du forçage, comment dans la mise en place des identifications professionnelles, c’est un groupe d’accueil qui convoque (contraint) à la transgression. Toutefois, avant que le groupe ne se constitue comme groupe de pairs, le «Je» va lui-même jouer du renoncement en contrepartie de la prime narcissique, et de l’identification professionnelle corrélée.

Conserver aux expériences leur charge d’étrangeté et d’excitation, signe la séparation imaginaire du «Je» d’avec l’autre maternel et/ou d’avec le surmoi parental (dans l’aspect archaïque du surmoi162) - la conservation de la charge érotique des premiers émois adolescents et des premières expériences sexuelles, exemplifie ce mouvement. L’excitation antérieure résultant de la proximité d’avec la psyché maternelle est remplacée par une autre excitation (par un nouveau cycle d’excitation) censée convoquer faussement de l’altérité. On se trouve alors aux prises avec une véritable configuration paradoxale : le clivage et la position incestuelle se renforcent mutuellement, alors même que le «Je» préserve ce clivage aux fins de se prémunir contre l’excitation incestueuse - incestuelle (P.C. Racamier) ; simultanément la limite est appelée dans le moment même où le «Je» en réalise le franchissement.

Soulignons que la configuration psychique qui résulte du traumatisme rejoint ici celle qui résulte d’actes vécus comme transgressifs. L’excitation qui résulte d’une expérience transgressive tout autant que d’une expérience traumatique peut être configurée par le «Je» dans un retournement, comme barrage opposé à l’excitation incestueuse, incestuelle. L’une est censé chasser l’autre dans une infinie fuite en avant, dans un incessant déplacement d’un inélaborable qui maintient la tension. Nous considérons que ce mouvement du déplacement d’un inélaborable se rencontre (notamment) dans l’exercice des professions du soin et du travail social163, au travers des figures sidérantes qui vont devoir être confrontées de façon incessante via les différents «usagers». - Nous avons précédemment soutenu l’idée selon laquelle c’est la fréquentation de situations potentiellement sidérantes et traumatiques qui sont recherchées par les sujets au travers de leurs identifications professionnelles (du soin, du travail social, et de quelques autres).

Notes
161.

Il conviendrait de discuter plus avant la question du «choix» que fait alors le sujet, et plus spécifiquement pour ce qui est du «choix» dans les configurations psychiques extrêmes, notamment dans la psychose. Pour notre part nous suivons Piera Aulagnier lorsqu’elle affirme : «(...) l’infans peut parfaitement, malgré l’état de prématurité qui est le sien, décider de refuser la vie.» (Piera Aulagnier [1975], La violence de l’interprétationnotion interprétation notion interprétation notion interprétation notion interprétation notion interprétation 171notion interprétation notioninterprétationnotioninterprétation, Paris Puf, p. 131).

162.

«(Pour Lacan ), les diverses figures (obscènes et féroces) du Surmoi viennent essentiellement manifester une limite, voire un échec du processus de la symbolisationnotion symbolisation notion symbolisation notion symbolisation notion symbolisation notion symbolisation notion symbolisation notion symbolisation notion symbolisation . Elles constituent une modalité de régressionnotion régression notion régression notion régression notion régression notion régression notion régression notion régression notion régression formelle vers des images archaïques de Mère toute puissante, en raison du lâchage de l’arrimage par lequel le représentant paternel interne assure la fonction de support symboliquenotion symbolique notion symbolique notion symbolique notion symbolique notion symbolique notion symbolique notion symbolique notion symbolique (l’Idéal du Moi pour Lacan), permettant au sujet d’accéder à une puissance et une jouissance relatives certes, mais effectives et légitimes des biens de ce monde». (B. Penot, [1995], L’instance du Surmoi dans les «Écrits» de J. Lacan - in Monographies de la revue Française de Psychanalyse : Surmoi II, Paris, Puf, p. 86.)

163.

Nous allons revenir sur cet aspect dans un chapitre intitulé «Les trois sidérations».