B.4.1.5 La sacralisation et le suspens de la temporalité

Dans un certain nombre de cas le «Je» octroie à ces expériences transgressives et/ou traumatiques, un statut de sacralité. Il s’agit d’une manière de préserver ces expériences de tout travail de pensée, de les mettre hors de portée d’un travail de reprise seconde. Octroyer un statut de «sacré » place ces expériences sous le signe du tabou : il est dès lors interdit d’y «toucher». On assiste à la mise en place d’un véritable fétiche interne. Si dans les positions perverses le fétiche est cet objet externe que le sujet investit comme leurre pour tenter de masquer ce qu’il éprouve comme l’horreur de la castration (Freud 1927164), le «fétiche interne» réfère à des stades du développement antérieurs, à un en deçà du sexuel génital, au sein duquel le «Je» s’étaye sur ses éprouvés corporels (proprioceptifs et extéroceptifs) pour faire barrage à l’effondrement - ces éprouvés étant les soubassements archaïques pictogrammatiques (P. Aulagnier 1975) de la représentation.

Dans une telle configuration, il convient de préserver les expériences transgressives de toute altération par une mise hors histoire, par une non-inscription, un non-arrimage à la chaîne temporelle. C’est ce suspens de la temporalité, qui promeut la «sacralisation».

‘«Le sacré est un certain type de rapport des hommes à l’origine des choses, tel que, dans ce rapport, les hommes réels disparaissent et apparaissent à leur place des doubles d’eux-mêmes, des hommes imaginaires. Le sacré ne peut apparaître que si quelque chose de l’homme disparaît.» (M. Godelier 1996165).’

L’expérience échappe au partage, dans l’illusion maintenue par le «Je» qu’elle lui échappe aussi, et lui confère un donné à vivre, dans l’ordre de la révélation. Le «Je» se précipite ainsi dans un fantasme d’auto-engendrement : il naît à ses propres yeux avec le trauma ; il se fait naître par le biais de l’expérience traumatique. Dès lors la réitération de l’expérience se trouve requise pour entretenir la position qui soutient le fantasme, et qui se soutient à travers lui. L’expérience traumatique, est alors assimilée à cet «instant prodigieux où une réalité s’est pour la première fois pleinement manifestée» - pour reprendre les termes par lesquels Mircea Éliade définit le temps de l’origine et par lesquels cet auteur dessine le mouvement de sacralisation dont ce temps de l’origine va désormais être revêtu.

‘«Puisque le temps sacré et fort est le temps de l’origine, l’instant prodigieux où une réalité a été créée, où elle s’est pour la première fois, pleinement manifestée, l’homme s’efforcera de rejoindre périodiquement ce Temps originel.» (M. Éliade 1959166).’

L’origine réfère au «sacré », en ce que précisément cela échappe au «Je» et inscrit l’incomplétude comme le signe de «l’humain». On entrevoit dès lors comment lorsque le «Je» sacralise une expérience confusionnante qui lui est advenue, il s’enchaîne au fantasme d’auto-engendrement. Il ne lui reste plus qu’à accomplir les rites lui permettant de perpétuer le leurre. Les éprouvés effractifs deviennent alors les objets d’un culte morbide.

‘«La déliaison a donc fonction de conservation de l’effraction dans un but d’auto conservation mais dans le registre de la survie plutôt que dans celui de la vie.» (M. Borgel 1999167).’
Notes
164.

Freud (1927 b), Le fétichisme - Trad. franç., in La vie sexuelle, Paris, Puf, 1969, p. 133-138.

165.

Maurice Godelier (1996 a), L’énigme du donnotion don notion don notion don notion don notion don notion don notion don notion don - Paris, Fayard, p 239.

166.

Mircea Éliade (1957), Le sacrénotion sacré notion sacré notion sacré notion sacré notion sacré notion sacré notion sacré notion sacré et le profane - Trad. franç. 1965 Paris, Gallimard, Folio, 1987, p. 73.

167.

Maurice Borgel (1999) Témoignages - in La résistance de l’humain (sous la direct° de N. Zaltzman), Paris, Puf, p. 59.