B.4.1.6 L’abolition de la catégorie du temporel, le paradigme de la psychose

Au cours de ces expériences traumatiques et/ou transgressives, nous avons souligné comment le «Je» est aux prises avec une sursaturation signifiante. Il n’est pas dénué d’intérêt de souligner que ces moments présentent nombre d’analogies avec les expériences caractéristiques «d’entrée en psychose» (H. Grivois 1995), au sein desquelles «tout fait sens», où l’expérience est à ce point sursaturée de signifiants qu’il apparaît au «Je» comme superflu de la faire passer par l’appareil de pensée. Sens et expérience sont confondus dans une immédiateté qui abolit précisément la chaîne temporelle et la pensée qui aurait à en ordonner le cours. L’expérience se donne comme du sens instantané ; un «trop plein» qui ne permet pas au sujet d’occuper «une place». Il est à toutes les places, ce qui du reste caractérise le scénario d’auto-engendrement. L’auto-engendrement désarrime le sujet de sa condition humaine, de ce «montage de fiction» (P. Legendre 1985) qui le maintient dans une chaîne généalogique et temporelle, et de sa soumission à l’ordre du langage. À défaut d’ancrage, le «Je» se morcelle et se perd.

On retrouve de tels effondrements de la catégorie du temporel dans ces situations paradigmatiques de l’emprise maternelle/parentale mortifère, que sont les psychoses. Paul Claude Racamier parle à ce propos de «désengendrement», soulignant l’indissociable entre l’auto-engendrement et le «désengendrement».

‘«Qui s’est créé peut aussi bien se décréer ; qui s’est fait se défaire; et qui s’est engendré se désengendrer. La question fondamentale reste la même : il s’agit toujours pour le sujet de se conférer (en fantasme) la maîtrise de ses origines.». (P.C. Racamier 1989169).’

HenriGrivois (1995170) façonnera deux néologismes pour s’efforcer d’appréhender les expériences qui submergent les sujets lors de ce qu’il nomme «les entrées en psychose» : il parle de «centralité» et de «concernement». Pour un patient aux prises avec ces états :

‘«L’antérieur et l’advenu ne se distinguent plus de l’actuel. Le temps tournoie entre anticipation et évocation. Effet et cause coexistent sans direction ni sens. Toute conscience de soi comme du monde s’allume chez le patient et chez les autres : fournit-il conscience, subjectivité et vie à tous les hommes ? Il en a malgré lui l’irrésistible certitude. Il ne perd pas le sentiment d’être lui, mais peu à peu, celui d’être différent.» (H. Grivois 1995171).’

Dans les expériences que le «Je» érige en place de lui fournir un statut d’exception, on assiste à une revendication par les sujets d’un «indicible», d’un «non-transmissible». Ce non-partage est le corrélat du statut d’exception revendiqué par le «Je». Ces expériences sont refusées au partage puisque interdites de mise en représentation. Elles court-circuitent toute liaison dans la pensée car se donnant comme compréhension instantanée. À être partagées l’autre n’aurait toutefois aucunement la possibilité de comprendre, sauf à se situer dans une mêmeté, c’est-à-dire à avoir lui-même traversé une expérience identique et donc et à ne pouvoir jouer pour le «Je» qu’une position à l’«identique» (M. de M’Uzan), mettant en faillite l’altérité qui résulte habituellement de la mise en partage. La revendication du non-transmissible permet au «Je» de justifier son refus de partage, et de garder l’expérience par devers lui sans avoir à conduire un travail de pensée élaboratif.

Notes
169.

Paul Claude Racamier (1989) Antoedipe et ses destins - Paris, Apsygée éditions, p. 69.

170.

Henri Grivois (1995), Le Fou et le mouvement du monde - Paris, Grasset, 245p.

171.

Henri Grivois (1995), op. cit. p. 29.