Lors de la construction des identifications professionnelles et de l’accession à une position professionnelle, ainsi qu’à l’occasion de l’exercice de ces professions et des contacts qu’elles entraînent, on se trouve en présence d’un mouvement de recherche du traumatisme. Cette recherche vise à soutenir les identifications professionnelles (dans le soin et le travail social180) ; au travers des répétitions dont ces pratiques sont le lieu, elles génèrent une véritable «traumatophilie ». Nous devons à Jean Guillaumin d’avoir proposé le concept d’«appétence traumatophilique ou traumatotropique». Ce mouvement, s’il est manifeste chez les adolescents, existe aussi pour tout humain. Cet auteur propose ainsi l’idée que c’est autour de la recherche de l’excitation et de la recherche des limites de l’excitation que viennent se nouer ces dynamiques.
‘«Je fais l’hypothèse (...) que les particularités et les difficultés que présentent l’abord et le traitement psychanalytique des adolescents et de certains post-adolescents renvoient à l’existence – au moins chez ces patients et peut-être de manière générale chez tous les êtres humains – d’une sorte d’appétence ou besoin traumatophilique, ou traumatotropique, impliquant une recherche des limites de l’excitation.» (J. Guillaumin 1985181).’Une telle idée appliquée à l’adolescence était déjà énoncée par Peter Blos (1962). Cet auteur posait alors l’exigence du concept de traumatisme pour pouvoir penser les identifications adolescentes. Le traumatisme est pour cet auteur ce «principe opérationnel, ce concept dynamique qui gouverne le processus de consolidation propre à l’adolescence tardive et l’englobe sous toutes ses formes 182 .».
L’appétence traumatophilique nous permet de corréler le fait que c’est dans des temps de trouble ou de remodelage des identifications, comme c’est le cas pour les sujets à l’adolescence, et comme c’est aussi le cas lors de la mise en place d’identifications professionnelles (dans lesquelles se joue également une accession à l’adultité), que le traumatisme va être utilisé par le «Je», et mis au service de son devenir identificatoire. Le traumatisme signe une imaginaire séparation, en ce qu’il convoque le franchissement d’un interdit, que celui-ci soit explicite (parce qu’en référence à des lois sociales), ou implicite (parce que relatif à des normes sociales, ou familiale).
‘«Inhérent aux instincts de vie, ce besoin (de traumatismes) serait générateur de déplacements impérieux des désirs d’objets (qui dépendent de son appui) et de mutations plus ou moins urgentes dans leurs modalités et finalités à certains moments de la vie, dont l’adolescence fournirait l’exemple le plus observable et le plus courant. Il s’exprimerait par la recherche active de situation de rupture dans l’équilibre pulsionnel, pouvant ou non correspondre à la perte volontaire ou à la destruction douloureuse et systématique de certaines relations, pour des raisons en quelque manière vitales, orientées par l’accomplissement des tâches majeures de la vie, dont la première est de devenir soi.» (J. Guillaumin 1985183)’Au travers du choix professionnel, et avec son entrée sur la scène professionnelle, le «Je» rejoue quelques aspects des assignations dont il a été l’objet ; il tente de s’assigner lui-même dans une nouvelle place, en écart, ou en collage avec les assignations et les identifications antérieures.
L’anesthésie qui résulte de nombre de rencontres traumatiques (dont celles qui se développent à l’occasion de la construction des identifications professionnelles) s’apparente à une «recherche active de situation de rupture dans l’équilibre pulsionnel». J. Guillaumin souligne comment «l’aspect pathogène du traumatisme, improprement défini et presque toujours envisagé, sous l’angle de son pouvoir désorganisateur ou déformant (...)» a longtemps été surestimé, au détriment de cet autre aspect du traumatisme en tant qu’il est pourvoyeur d’identité nouvelle, et participe des processus d’appropriation (du «devenir soi» selon les termes de J. Guillaumin), de ce mouvement de différenciation, de séparation d’une modalité relationnelle qui caractérise une position psychique et simultanément une position au sein du système familial d’appartenance.
L’arrivée sur la scène professionnelle, peut prendre, pour nombre de sujets, valeur d’un véritable passage hors de la dépendance parentale - Il est banal de souligner les évolutions sociales actuelles où les parents soutiennent financièrement de plus en plus longuement les études de leurs enfants, ce qui ne manque pas de pérenniser la dépendance. Le débouché sur la scène professionnelle marque ainsi la venue à une certaine autonomie (via l’autonomie financière), souvent vécue par les sujets eux-mêmes comme une sortie hors de l’utérus familial, et hors de la dépendance parentale et de son lot d’emprises. En ce sens les processus qui ont cours lors de l’entrée sur la scène professionnelle se trouvent en lien direct avec différentes tentatives, qui ont signé les revendications adolescentes. L’arrivée sur cette scène rejoue, dans la réalité de l’acte des «effets de choc ou de violence spontanément utilisées à des fins personnalisantes, par l’appareil psychique.» (J. Guillaumin184).
Au-delà de ces professions, objet de nos préoccupations, ce processus pourrait concerner un certain nombre d’autres positions professionnelles.
Jean Guillaumin (1985), Besoin du traumatisme171notion traumatisme notiontraumatismenotiontraumatismenotiontraumatismenotiontraumatismenotiontraumatismenotiontraumatismenotiontraumatisme et adolescencenotion adolescence notion adolescence notion adolescence notion adolescence notion adolescence notion adolescence notion adolescence notion adolescence - in Adolescence III, 1, p. 127. Le passage en italique est souligné par nous, pour marquer l’extension que propose Jean Guillaumin de son hypothèse.
Peter Blos (1962), Les adolescents. Études psychanalytiques - Paris Stock, p. 158.
Jean Guillaumin (1985), op. cit., p. 127.
Jean Guillaumin (1985), op. cit., p. 128.