B.4.2.2 Identification et «névrose d’effroi»

Tobie Nathan (1987185) reprenant cette notion «d’appétence traumatophilique» établit des pontages entre les observations de la clinique du traumatisme et les descriptions anthropologiques de rituels d’initiation. Il propose l’idée que dans les rituels initiatiques, c’est le traumatisme qui permet une bascule dans les identifications.

‘«En considérant le fonctionnement de ces rituels d’initiation, l’on est naturellement conduit, à penser qu’il s’agit d’une organisation délibérée d’un traumatisme psychique. Ce qui est d’ailleurs fort compréhensible lorsque l’on considère les effets que les sociétés traditionnelles attendent de l’initiation : 1) Une métamorphose de l’identité de l’initié. 2) Une production de l’identique. Le nouvel initié devra être identique à son aîné - au moins sur le plan culturel - et sera conduit à produire à son tour des nouveaux initiés identiques (mimétisme). 3) Une modification de la mémoire (il devra oublier les expériences passées et reconstruire sa vie à partir du moment 0 de l’initiation). 4) Un oubli de la sensation traumatique du rituel. 5) Un certain effet résolutoire ou tout au moins restructurant.’ ‘C’est pourquoi l’on pourrait aisément décrire les rituels d’initiation comme une tentative d’inscrire dans la mémoire et sur le corps des sujets, la discrimination des espaces logiques culturellement définis.» (T. Nathan 1988186). ’

Quoique dans une mesure moins radicale, les «rituels» de reproduction au sein des groupes professionnels correspondent aux critères évoqués ici par Tobie Nathan à propos des transformations attendues des «rituels initiatiques».

À propos des traumatismes, cet auteur souligne une observation de Freud (1920187), concernant l’effroi. Ce dernier avait en effet noté que l’effroi provoque non seulement la répétition de l’expérience traumatique mais aussi le mimétisme. Cette perspective est reprise et développée par l’anthropologue Martine Stassart.

‘«Si les rites sont efficaces, c’est parce que, plongeant le sujet dans l’effroi, ils créent artificiellement une névrose traumatique, plus précisément une «névrose d’effroi» (schreckneurose) dont l’issue espérée est conjointement avec l’abolition de la mémoire de l’enfance, la production d’un être complètement nouveau, sommé d’introjecter, «en quatrième vitesse» une série de figures identificatoires entièrement inédites.» (M Stassart1996188).’

Cet auteur précise comment le traumatisme permet de comprendre la manière dont les rites et notamment les «rites de passages 189« jouent de leur efficace. Elle en fait le «‘moteur des transformations cruciales qui opèrent le passage à l’âge adulte en fixant le caractère définitif et original de l’individu, mettant ainsi fin, en principe, à la crise d’adolescence’ 190 .»

‘« Dans les deux cas (le passage à l’âge adulte et les rituels de passages archaïques) il s’agit de «fixer» le sujet dans une modalité d’exister spécifique traumatophilique, répétitive, «habitudinale» et limitative, à cette différence près que dans une culture moderne le processus de limitation ne saurait procéder que d’une auto-limitation.» (M. Stassart 1996).’

À cette nécessité d’un passage brutal, soulignée par T. Nathan et M. Stassart, fait écho la notion d«urgence identificatoire» (A. Missenard) à laquelle nous avons antérieurement eu recours.

Les postulants aux professions du soin et du travail social, de même que les nouveaux arrivants dans un nouveau groupe professionnel, se retrouvent donc dans une situation qui par bien des aspects s’apparente à celle décrite dans les rites de passages. L’entrée dans le monde du travail vaut souvent comme initiation, comme rituel initiatique, et donc comme accession à l’adultité. Les rencontres avec la maladie, la souffrance et la folie sont analogues à la recherche d’un passage qui dans les sociétés traditionnelles concerne le dévoilement des mystères, ainsi que le soulignent les propos de Mircea Eliade.

‘«L’initiation comporte généralement une triple révélation : celle du sacré, celle de la mort et celle de la sexualité. L’enfant ignore toutes ces expériences ; l’initié les connaît, les assume et les intègre dans sa nouvelle personnalité.» (M. Éliade 1957191).’

À ces propos font échos ceux de F. Ansermet et M.G. Sorrentino, qui notent comment, dans les professions du soin il s’agit ici de se retrouver au plus près de ce lieu mystérieux de l’humain.

‘«Dans l’institution et à travers le psychotique, le soignant semble ne plus pouvoir se soustraire à des choses évidentes et pourtant cachées depuis l’apparition de l’homme. Sexualité et fatalité de la mort, amour et coexistence de la haine, présence et absence du pénis, mémoire et oubli, infini et temporalité, c’est à cela qu’il aura affaire dans l’institution, peut-être pour la première fois d’une manière si cruciale. Mais, était il vraiment si naïf, ou a-t-il utilisé le déguisement du soin pour aller enfin à la rencontre de ces expériences redoutées mais désirables?» (F. Ansermet, M.G. Sorrentino, 1991192).’

La recherche que le «Je « conduit au travers des positions professionnelles est celle «d’objets» susceptibles de lui permettre de revenir sur ses propres réponses relatives aux questions fondatrices de la psyché, et d’entretenir simultanément une excitation à cet endroit, en lien avec ses propres confusions, les défauts d’interdits qui les caractérisent, ... L’éprouvé traumatique est attendu en sa valeur de trace (d’un passage dans la profession), il devient le signe du fait que des rencontres capitales (rencontres avec la souffrance, la mort, et la folie) ont eu lieu. Les éprouvés fournissent ainsi au «Je» l’assurance qu’il est en position d’adulte. S’il porte des traces de brûlures, c’est qu’il est allé au feu, qu’il a été sidéré et qu’il a survécu ; c’est là sa gloire !

Notes
185.

Tobie Nathan (1987) Traumatisme, identification et mémoirenotion mémoire notion mémoire notion mémoire notion mémoire notion mémoire notion mémoire notion mémoire notion mémoire - in Aïn J. & alii Adolescences, Miroir des ages de la vie ; Toulouse, Privat p. 147-158.

186.

Tobie Nathan (1988), op. cit., p. 153-154.

187.

Freud (1920), Au-delà du principe de plaisir - in Essais de psychanalyse, Trad. franç. Paris, Éditions Payot, 1981, p. 50.

188.

Martine Stassart (1996), Anthropologie de l’adolescencenotion adolescence notion adolescence notion adolescence notion adolescence notion adolescence notion adolescence notion adolescence notion adolescence - in Cahiers du C.E.P. n° 7, p. .22-23.

189.

Nous devons à l’anthropologue A. Van Gennep, la dénomination de «ritenotion rite notion rite notion rite notion rite notion rite notion rite notion rite notion rite de passage». Dans son ouvrage de 1909, Les rites de passages - Paris, Édit° Picard, (1981) cet auteur présupposait déjà que «sous l’effet de contraintes spécifiques, il est possible de modifier durablement la psyché d’un sujet» - cette idée est reprise et soulignée par Tobie Nathan, 1987.

190.

Martine Stassart (1996), op. cit. p. 23.

191.

Mircea Éliade (1957), Le sacrénotion sacré notion sacré notion sacré notion sacré notion sacré notion sacré notion sacré notion sacré et le profane - Trad. franç. 1965 Paris, Gallimard, Folio, (1987), p. 159.

192.

François Ansermet et Maria Grazia. Sorrentino (1991), Malaise dans l’institution - Paris, Anthropos, p. 17.