B.4.2.3 Se soumettre au trauma : la répétition

En 1939, Freud souligne la double polarité du traumatisme, soit la contrainte de répétition en ce qu’elle peut fixer le «Je» au traumatisme, ou, au travers de cette même contrainte, potentialiser un travail de remémoration, et d’élaboration de l’expérience, dans le transfert.

‘«Les effets du traumatisme sont de deux sortes, positifs et négatifs. Les premiers sont des efforts pour remettre en oeuvre le traumatisme, donc pour remémorer l’expérience oubliée ou, mieux encore, pour la rendre réelle, pour en vivre à nouveau une répétition, même si ce ne fut qu’une relation affective antérieure, pour la faire revivre dans une relation analogue à une autre personne. On réunit ces efforts sous le nom de fixation au traumatisme et de contrainte de répétition.» (Freud 1939193).’

M. de M’Uzan reprendra cette double valence du traumatisme au travers de la différence qu’il établit entre la catégorie du «même» et celle de «l’identique».

‘«Il convient de distinguer nettement deux types de phénomènes parmi ceux que l’on rapporte classiquement à la compulsion de répétition. Les uns ressortissent à une reproduction du même et sont le fait de structures chez lesquelles la catégorie du passé s’est élaborée suffisamment. Les autres qui ressortissent à une reproduction de l’identique, sont le fait de structures chez lesquelles cette élaboration est défaillante. (M’Uzan M. de 1969194).’

On retrouve une différenciation analogue chez Claude Janin (1996195) entre une «répétition représentative» et une « répétition commémorative».

Ce versant de la «contrainte de répétition» et du traumatisme que le «Je» met au service de sa propre subjectivation est également souligné par Paul Denis (1997), notamment sous les aspects de réassurances qui peuvent en résulter. Cet auteur fait ainsi référence à ces confrontations qui sont recherchées par les sujets, au travers des oeuvres culturelles. Dans leur fréquentation le «Je» se livre volontairement à une forme de «traumatophilie «, à un traumatisme mesuré, en se confrontant à des productions à partir desquelles il peut «jouer» sans risque avec ses propres éprouvés, hors de toute interaction avec un autre.

‘«Le pouvoir restaurateur de l’oeuvre d’art nous est à chacun familier comme à Marion Milner rapportant le sentiment d’apaisement éprouvé après avoir vu une toile particulièrement bouleversée de Picasso et se l’expliquant par la constatation qu’il était possible d’éprouver des impressions violentes de désorganisation tout en restant entier.» (P. Denis 1997196).’

Dans la contemplation d’une oeuvre d’art et les confrontations qu’elles suscitent, on a donc affaire à un véritable domptage du traumatisme, hors réponse de l’«objet» - l’ensemble des productions culturelles, notamment le cinéma et ce qu’il permet d’expériences imaginaires, peut être interprété à cette lumière.

‘«Le tableau – mais aussi l’édifice, la partition, le livre ou la statue – peut alors être considéré comme un bouclier de Persée qui nous permet d’affronter la Méduse (...). Cette vision conduit à penser que toute oeuvre d’art renvoie à une représentation de la castration, élaboré par un tiers qui a vaincu la Méduse, lequel prend alors figure héroïque paternelle.» (P. Denis 1997197). ’

Dans ses propos P. Denis souligne ce qui rend possible de telles confrontations et qui les rapproche de celles qui nous occupent, soit l’arrimage qu’elles supposent à une figure identificatoire, un tiers qui a vaincu Méduse. Le héros est ici envisagé sur un versant paternel. Il est celui qui avant nous, a affronté et vaincu le monstre198 - par où l’on retrouve cet indispensable arrimage aux ascendants et à la génération.

La réflexion de cet auteur sur l’emprise 199 infléchit le sens des conduites traumatophilique. «La maîtrise » qui se joue dans de telles conduites vise une externalisation constante pour «maintenir inconsciente une expérience interne, effrayante pour le sujet et insuffisamment refoulée.» (P. Denis 1992200). C’est en appui sur ce travail de P. Denis sur l’emprise que Guy Laval reprend les différentes fonctions qui constituent selon lui «l’essence du trauma » :

‘Le traumatisme constitue donc - «une expérience limite bien sûr, c’est ce qu’on a toujours souligné ; - une forme défensive : c’est ce que l’on a peut-être pas toujours bien mis en évidence. En effet, le trauma a souvent été décrit comme une expérience vécue de danger externe ou le pare-excitation était débordé car le signal d’angoisse était manquant. Mais le danger externe n’est-il pas la projection d’un danger interne ? N’est-ce pas le principal enseignement de ce prototype qu’est l’objet de la phobie ? - enfin, il est intéressant de pouvoir reconstituer le mécanisme de cette expérience soi-disant passée qu’est le traumatisme : une expérience intérieure constamment présentifiée comme externe. L’objet externe est partiellement contrôlable, son internalisation le soumet à des remaniements lourds d’angoisse. À un moment particulier de l’histoire du sujet, il peut lui être plus commode d’exercer une emprise sur un objet réel que de l’internaliser, car c’est un processus aléatoire qui peut devenir conflictuel.» (G. Laval 1992201).’

À l’occasion de la présentation de la situation de «Laure» et Adrien, nous avons vu la pertinence d’un tel éclairage, concernant l’utilisation par le «Je» de l’espace professionnel, aux fins de se donner à vivre en «externe» une modalité défensive, contre un danger «interne».

Notes
193.

Freud (1939), L’homme Moïse et la religion monothéiste - Trad. franç. Paris, Éditions Gallimard, 1986, p. 181-182.

194.

Michel de M’Uzan (1969), Le même et l’identique - in : De l’art à la mort, (1977), Paris, Tél. Gallimard, p. 88-89.

195.

Claude Janin (1996, édition corrigée 1999), Figures et destins du traumatismenotion traumatisme notion traumatisme notion traumatisme notion traumatisme notion traumatisme notion traumatisme notion traumatisme notion traumatisme - Paris, Puf, p.48.

196.

Paul Denis (1997), Emprise et satisfaction - Puf, Paris, p. 195.

197.

Paul Denis (1997), op. cit., p. 196.

198.

Nous reviendrons sur cet aspect à propos du travail de J.J. Goux au § C.4.1.2.2.

199.

Rappelons qu’en vu de clarifier les termes employés, nous préférons parler de maîtrisenotion maîtrise notion maîtrise notion maîtrise notion maîtrise notion maîtrise 171notion maîtrise notionmaîtrisenotionmaîtrise (F. Gantheret) pour désigner ce mouvement dont P. Denis fait un des pôle de l’emprise.

200.

Paul Denis (1992), Emprise et théorie des pulsions - in Revue Française de Psychanalyse Tome LVI, De l’emprise à la perversionnotion perversion notion perversion notion perversion notion perversion notion perversion notion perversion notion perversion notion perversion .

201.

Guy Laval (1992), Emprise et traumanotion trauma notion trauma notion trauma notion trauma notion trauma notion trauma notion trauma notion trauma - Revue Française de Psychanalyse, Tome LVI, p. 1469. Le passage en italique est souligné par l’auteur.