B.5.1.3 Interdit de représentation, faute et culpabilité

Lors de cette grossesse, l’auteur s’interdit de s’auto-représenter. Elle se condamne au silence, et dans ce mouvement conserve par-devers elle, et isole les éprouvés sensoriels et émotionnels dans toute leur densité, en une jouissance narcissique, phallique, mortifère», dont la culpabilité constituera la clef de voûte.

‘«Il y a une semaine que j’ai commencé ce récit, sans aucune certitude de le poursuivre. Je voulais seulement vérifier mon désir d’écrire là-dessus. (...) je résistais sans pouvoir m’empêcher d’y penser. M’y abandonner me semblait effrayant. Mais je me disais aussi que je pourrai mourir sans avoir rien fait de cet événement. S’il y a une faute, c’était celle-là214.»’

La «faute» est liée à cette clôture que la mise en écriture est censée faire chuter. Cette mise en récit permettra à A. Ernaux, au terme de la narration d’écrire :

‘«J’ai effacé la seule culpabilité que j’aie jamais éprouvée à propos de cet évènement, qu’il me soit arrivé et que je n’en aie rien fait. Comme un don reçu et gaspillé. Car par-delà toutes les raisons sociales et psychologiques que je peux trouver à ce que j’ai vécu, il en est une dont je suis sûre plus que tout : les choses me sont arrivées pour que j’en rende compte. Et le véritable but de ma vie est peut-être seulement celui-ci : que mon corps, mes sensations et mes pensées deviennent de l’écriture, c’est-à-dire quelque chose d’intelligible et de général, mon existence complètement dissoute dans la tête et la vie des autres215 »’

Dans ce paragraphe qui compte parmi les dernières pages du livre (p.112 pour un ouvrage de 115p.), on retrouve le même mouvement et les mêmes mots que ceux de la citation précédente (posée tôt dans l’écriture p.24), soit la faute, et la culpabilité, et la réitération du n’«en avoir rien fait». Si l’écriture de cette tranche de vie entraîne à nouveau un écoulement du temps, et permet au «Je» de réintégrer ces éléments clivés, en renonçant à la part de jouissance préservée dans le clivage, c’est précisément dans la socialisation de cette expérience : avoir pu en «faire quelque chose». L’écriture même produit de la liaison dans cette mise en mots et en image pour d’autres. L’auteur témoigne que ces territoires psychiques n’étaient précédemment, que «sensations violentes», que «saisissement sans images ni pensées» ; la nomination elle-même était hors de portée.

Notes
214.

Annie Ernaux (2000), op. cit., p. 24. Le passage hors italique est souligné par nous.

215.

Annie Ernaux (2000), op. cit., p. 112. Le passage hors italique est souligné par nous.