B.5.1.5.2 Le statut d’exception, comme «enveloppe»pour le «Je».

Le mouvement de destruction de l’intime, de cette catégorie habituellement structurante pour les sujets, et l’expulsion, via l’écriture (toute expérience, tout éprouvé deviennent publics et publiables) témoigne d’une configuration en emprise. À défaut d’avoir été autorisé à se construire un territoire préservé de l’intrusion de l’autre, c’est dans le regard de cet autre que le «Je» se met à rechercher les effets du trouble. Il se met en position de «squatter» la psyché de l’autre, pour mesurer les effets produits, et/ou les exporter et s’en débarrasser. Les éléments qui vont demeurer déliés pour le «Je» trouvent à se lier dans la pensée et/ou le corps du lecteur.

Il s’agit dès lors de se soumettre au regard de l’autre, et de n’avoir de cesse de s’étonner de n’en être pas détruit : étonnante manière de composer avec un surmoi féroce et tyrannique, qui ne cesse de pousser à la jouissance.  Dans un autre ouvrage : «La honte», en quatrième de couverture, on trouve cet énoncé qui indique clairement cette recherche de découvrir une posture d’écriture «‘dont il (lui) soit ensuite impossible de parler, qui rende le regard d’autrui insoutenable’».

«J’ai toujours eu envie d’écrire des livres dont il me soit ensuite impossible de parler, qui rendent le regard d’autrui insoutenable. Mais quelle honte pourrait m’apporter l’écriture d’un livre qui soit à la hauteur de ce que j’ai éprouvé dans ma douzième année »

Cette recherche de l’écrivain illustre au mieux le mouvement que l’écriture autobiographique instaure. L’exhibition devient alors la violence imposée à l’autre comme un rendu des effractions vécues, de l’effacement (de la perte) de l’intimité. Le «Je» n’ayant pas pu s’éprouver comme étant respecté à l’endroit de son intimité, il va se donner à voir tout entier, en mes moindres replis. L’acte vaut alors comme énoncé : Si mon intimité vous intéresse, (intéresse l’autre maternel), alors regardez. Peut-être ainsi apprendrais-je à saisir la limite qu’indique votre trouble - discours interne que le «Je» adresse à ses persécuteurs (à la figure de la mère archaïque), dans une quête de limite à la confusion. Vers la fin de la narration de «l’événement», cette même confusion fait dire à l’auteur : « (...) j’ai remplacé mes lunettes par des lentilles dont l’ajustement sur l’oeil me paraît aussi difficile et hasardeux que celui du diaphragme au fond du vagin 234 .» - par où s’entend la confusion entre le regard et l’intimité du sexe, oeil et vagin confondus. Dans cet énoncé se dessine aussi la volonté de se maintenir en un lieu de violence où demeure centrale la visée de sidération de l’autre : là où les images crues sont livrées, exhibées, à charge pour le lecteur de réaliser le travail de métabolisation de ces évènements et de ces tranches de vie, ou de s’y effarer.

Notes
234.

Annie Ernaux (2000), op. cit., p. 111.