B.5.1.5.3 Identifications, classes sociales et transgression

Il est donc des situations traumatismes qui éjectent le «Je» de ses repères identificatoires. Il s’agit alors de véritables situations-carrefours. Ce qui concourt à faire de «l’événement» un véritable traumatisme, c’est la sursaturation signifiante qu’il entraîne pour le «Je». L’auteur témoigne, comment dans cette expérience viennent se précipiter l’ensemble de ses repères identificatoires antérieurs. Elle convoque notamment dans son propos le vacillement dans lequel elle se trouvait alors, relativement à ce qu’elle nomme sa «classe sociale».

«J’établissais confusément un lien entre ma classe sociale d’origine et ce qui m’arrivait. Première à faire des études supérieures dans une famille d’ouvriers et de petits commerçants, j’avais échappé à l’usine et au comptoir. Mais, ni le bac, ni la licence de lettres n’avaient réussi à détourner la fatalité de la transmission d’une pauvreté dont la fille enceinte était, au même titre que l’alcoolique l’emblème. J’étais rattrapée par le cul et ce qui poussait en moi, c’était, d’une certaine manière, l’échec social 236

Soulignons ici que l’un des ouvrages qui a largement contribué à la notoriété de cette écrivain a pour titre «La place 237  ». Cet ouvrage témoigne du cheminement social de l’auteur, qui «fille d’ouvrier, devenu petit commerçant», se retrouve seule de sa famille (et de son entourage) à entreprendre des études supérieures. Le livre décrit l’intériorisation des normes sociales et les incidences des appartenances de classes. Cet ouvrage a fait l’objet d’une reprise théorisante, de Vincent de Gaulejac, au titre d’illustration pour ses hypothèses concernant «La névrose de classe». Cette recherche est bien entendue connue d’Annie Ernaux, qui a elle-même signé quelques mots dans l’ouvrage de V. de Gaulejac238. Elle considère les déterminants sociaux, les habitus (P. Bourdieu 1982) comme de toute première importance. À l’occasion d’une émission littéraire télévisuelle lors de la sortie de «L’événement», elle témoignera de son désintérêt pour la psychanalyse, mettant une nouvelle fois l’accent sur les déterminants sociologiques. Nous émettons l’hypothèse que les travaux de V. de Gaulejac qu’Annie Ernaux reprend à son compte et l’insistance concernant cette dimension de classes sociales lui permet d’éviter une confrontation avec sa dynamique psychique (notamment du côté des identifications maternelles). Elle préserve ainsi le compromis identificatoire auquel elle est parvenue, notamment la place héroïque qu’un tel parcours lui octroie, et la place de «dichter», qu’elle se compose.

Notes
236.

Annie Ernaux,(2000), op. cit., p. 29.

237.

Annie Ernaux (1983), La place - Paris, Gallimard. Cet ouvrage a obtenu le «Prix Renaudot» 1984.

238.

Vincent de Gaulejac (1987), La Névrose de classe - Hommes et Groupe Éditeur, Paris, 308p.