B.5.1.6 L’appel au sacré sur les franges de l’abjection

Lorsque le «Je» a vécu des situations susceptibles de le détruire, il revendique le dédommagement du préjudice. Une des exigences fréquentes est alors celle de l’octroi du statut d’exception. L’expérience d’Annie Ernaux indique une des composantes de cet autre mouvement à l’oeuvre (toujours sur le registre du retournement) : il va s’agit de sacraliser, ce qui pourrait entraîner l’auteur à se vivre comme hors humanité, et courir le risque d’une déliaison majeure d’avec la communauté humaine. L’expérience qu’elle va s’efforcer de sacraliser l’amène à s’assimiler aux exclus, auxquels elle-même octroie un statut héroïque, à partir de l’idée qu’ils sont capables de se tenir debout, désarrimés du groupe. Une nouvelle fois on se trouve en présence d’une configuration qui implique l’éviction de la temporalité au travers de la sacralisation242. Le sacré vient précisément produire un suspens de la temporalité. Le mouvement de l’écriture en ce sens, parachève le mouvement, inscrivant l’expérience dans le registre de la «vérité - toute vérité étant dès lors «bonne à dire» contrairement au dicton populaire.

«Il se peut qu’un tel récit provoque de l’irritation, ou de la répulsion, soit taxé de mauvais goût. D’avoir vécu une chose, quelle qu’elle soit donne le droit imprescriptible de l’écrire. Il n’y a pas de vérité inférieure 243 .».

Ce qu’ambitionne Annie Ernaux c’est précisément d’inscrire son expérience comme une expérience «sacrée». Une nouvelle fois c’est le «retournement » qui prévaut. En plaçant cette expérience sous le sceau du «sacré », un sacré de «transgression », il s’agit pour le «Je» de se couper de ses origines, de rompre une filiation vécue comme emprise aliénante.

Notes
242.

Nous aurons à revenir sur ce registre du «sacrénotion sacré notion sacré notion sacré notion sacré notion sacré notion sacré notion sacré notion sacré «, pour en préciser la dynamique.

243.

Annie Ernaux (2000), op. cit., p. 53.