B.5.4 La transgression contre la pensée, ou la pensée comme transgression

À partir de la situation évoquée dans le chapitre précédent : la narration d’Annie Ernaux, nous pouvons à présent jouer de l’opposition de ses composantes avec celle du «trouble » freudien.

Pour A. Ernaux la transgression vaut comme fondement narcissique, traumatique, pour le refus-rupture qu’elle semble générer : refus d’identification (à la mère). Ce refus va se doubler de celui de tout travail de pensée élaborative afin permet de conserver intacte la charge émotionnelle et sensorielle comme sceau de l’auto-engendrement. On se situe donc bien à l’opposé du parcours que réalise le récit freudien dans la mise en travail psychique de l’expérience dans le transfert à Romain Rolland. Annie Ernaux s’en tient à un récit factuel, dont l’élaboration est laissée au lecteur, au point que l’on a pu se demander s’il ne s’agit pas pour cet auteur d’aller précisément chercher chez l’autre une reconnaissance de ce qui ne peut être trouvé en soi, à l’image de son récit de la sidération que son acte vient provoquer pour un étudiant de ses amis. Les sentiments et les éprouvés sensoriels qui se rattachent à l’avortement témoignent d’une féroce rivalité avec la mère. L’identification à son sexe dans la génération est refusée, là où l’on voit Freud s’identifier au père au travers de la culpabilité, en tant que celle-ci vient réduire un écart qui menace de précipiter le «fondateur » que Freud est en passe de devenir (en 1904), dans les affres de l’inflation narcissique.

On se trouve avec ce texte de Freud en 1936, dans un véritable travail de reprise historisante. Si l’expérience vécue durant le voyage à Athènes a été conservée durant trente-deux ans sans la moindre reprise, le transfert qui le lie à Romain Roland et les élaborations que leurs échanges ont générées sont l’occasion d’un travail de ressaisie, d’inclusion de ce trouble, de cet «étrangement» dans une chaîne signifiante. Le contexte de la maladie de Freud, son âge, le confrontent à la temporalité et à l’inéluctable de la castration, de la génération et du travail psychique de la sublimation qui fait de lui (selon ses propres termes de 1908) un «grand homme», un «héros civilisateur» (M. Éliade).

La transgression évoquée par Freud le lie de façon directe à la loi de l’interdit oedipien. Elle concerne le travail de découverte qui a caractérisé l’épopée freudienne. Le travail de pensée joue comme dépassement des identifications aliénantes, là où la transgression vient à se configurer contre la pensée lorsque prévaut l’auto-engendrement mortifère, ainsi que le récit d’A. Ernaux le donne à entendre.