B.7.1.1 «Faire bord» à la répétition, réinscrire de la «différence»

‘«L’Univers pénètre en nous par les yeux, mais nous n’y comprenons rien, tant qu’il n’est pas descendu dans notre bouche.» (Paul Auster286).’

Nous avons fait état des zones de confusion entre les professionnels et leurs «publics», des contaminations constantes de la psyché des professionnels par celles des «usagers», des «résonances pathologiques» (selon le concept proposé par Jean Pierre Pinel, 1996, 1999287), et avons mentionné le fait que ces zones sont sources simultanées de jouissance narcissique, phallique, mortifère, et de processus sublimatoires ; elles sont ces carrefours où se jouent un renforcement des méconnaissances et/ou la révélation des points souffrants.

Les praticiens du soin et du travail social doivent ainsi être constamment réinscrits dans une différence, sous peine de passages à l’acte destructeurs à l’égard des usagers et/ou de leur désinvestissement. Il y a lieu d’extraire les pratiques d’une répétition «à l’identique» (M. de M’Uzan) et de la réplétion narcissique dont elles sont le lieu. Tout groupe professionnel se doit de faire «bord» à la jouissance. Avec cette question de la jouissance (ainsi que nous l’avons spécifié), les professionnels se trouvent aux prises avec l’archaïque, avec la scène du fantasme et la fragilité, la faiblesse des interdits corrélés, soit donc avec les agirs de la pulsion de mort. Nous avons donc avancé l’idée que la posture professionnelle, dans les métiers du soin et du travail social, ne se soutient que d’un travail de « forçage » permanent sous la forme d’une obligation constante à déconfusionner les professionnels d’avec leurs objets - ce processus ne saurait en effet trouver d’achèvement, ni prétendre relever d’un acquis ; il n’a de cesse de devoir être soutenu. Ce forçage qui consiste à générer de la représentation, à produire de la mise en sens est requis en ce qu’il produit des effets d’arrimage symbolique et des renflouements identitaires, relativement à la position professionnelle occupée, et en cela protège des mouvements désubjectivants dont les institutions (du soin et du travail social) et, partant, les professionnels sont l’objet constant.

Pour mettre à jour les mouvements d’attaque dont les identifications professionnelles sont le lieu et les arrimages symboliques requis, nous allons évoquer successivement deux situations :

  • Une première que nous avons titrée «Les trois sidérations», concerne une séquence d’analyse de pratique et va nous permettre la mise à jour d’une véritable «économie de la jouissance» ; exemplaire en cela de ce qui se joue au sein des institutions du travail social et du soin psychique. Nous découvrirons le travail d’élaboration psychique qui s’y déploie, la tentative «faire bord» aux mouvements de jouissance mortifère au travers d’une de mise en sens.

  • Une deuxième situation clinique nous permettra «a contrario» de voir oeuvrer les «contaminations» dans lesquelles sont pris les professionnels, les éprouvés «extrêmes» auxquels ils sont soumis, et leurs devenirs – notamment lorsque le lien entre un professionnel et le groupe de ses pairs n’assure pas (n’assure plus) la protection nécessaire, et lorsque par ailleurs n’existe pas d’espace réflexif de pensée, pas d’espace de «décontamination 288 « des attaques subies. Si le professionnel cherche à s’extraire de la confusion dans laquelle il ne manque pas de se retrouver, il lui faut alors découvrir un mode de traitement, hors institution, en prenant le risque de se désétayer de son groupe d’appartenance professionnelle. Nous avons intitulé cette seconde séquence : «Le désir de meurtre et l’étrangement289 ».

Notes
286.

Paul Auster - cité par Henry Bauchau (1999), Le Journal d’Antigone, Arles, Actes Sud, p40.

287.

«La résonancenotion résonance notion résonance notion résonance notion résonance notion résonance notion résonance notion résonance notion résonance pathologique peut transiter par les failles personnelles d’un membre de l’équipe, révélant de manière particulièrement vive les points de nouage entre la problématique du cas et celle du professionnel.» (J.P. Pinel 1999, Interventions clinique en institution et «nouvelles» problématiques pathologiques - in Revue de Psychothérapie psychanalytique de groupe, 1999.1 n°32, Groupe et institution, Editions Erès, p. 143-157).

288.

Paul Fustier a recours à la métaphore du «Le container radioactif» pour évoquer la toujours potentielle contamination de l’institution par ses «objets», et leur nécessaire traitement au sein de différents appareillages institutionnels. À ce titre il différencie les «appareillages de contention de premier et de deuxième degrés». Les espaces d’A. de P. relevant des premiers ; les seconds référant aux dispositifs d’Analyse Institutionnelle : ces dispositifs qui se révèlent nécessaires au moment où les dispositifs habituels n’ont pas permis de faire pièce à la déliaison. (P. Fustier, 1987, L’infrastructure imaginaire des institutions - in Kaës R. et alii, L’institution, et les institutions, Paris, Dunod, p. 146).

Soulignons en outre que la métaphore de la toxicité des éléments psychiques (les «éléments «ß»), et celle de leur «décontamination» (leur indispensable transformation en éléments «a»), réfère à l’approche de W. Bion.

289.

Le terme fait écho à ce que le travail sur le «Trouble du souvenir sur l’Acropole» (Freud 1936) nous a révélé de ces moments de vertiges identitaires, et notamment de ce qu’ils témoignent d’un point de bascule dans les identifications.