B.7.1.4.1 L’indulgence

Dans sa mise en lien avec le groupe l’intervenant est convié à s’établir en alliance de façon telle que le groupe puisse entendre sa position comme un «au-delà du jugement». Il est attendu de lui qu’il reconnaisse la part de jouissance légitime et les incessantes confusions, comme relevant du registre de la «tentation», tel que : «Vous avez droit d’aller y voir, de vous trouver là, (dans ces zones cloacales, désubjectivantes) sans vous y perdre». À cette condition, sa position est dès lors susceptible de faire «tiers», de générer des écarts auxquels le groupe peut consentir.

Nous devons à Paul Fustier d’avoir réhabilité l’emploi du terme de «tentation» pour l’appliquer aux différentes positions professionnelles, élargissant ainsi son usage au-delà de son terroir d’origine. Un tel cadrage permet d’entendre (et de donner à entendre) que chacun de ceux qui exercent auprès d’une population particulière est en position d’être «tenté» par les sombres miroirs de la jouissance. Dans ce partage de la tentation le groupe des professionnels n’est pas dans une obligation de se défendre de tels scenarii, par l’exclusion de celui ou de ceux qui en témoigneraient par trop ouvertement, et/ou de s’abîmer dans le retrait et le désinvestissement de l’objet, conduisant à la mise en place d’un «pacte narcissique ». L’énonciation de la tentation (dans le mi-dire et la métaphore) permet précisément de construire de la place pour les fantasmes au sein de la représentation, d’amener leurs représentants (leur figuration) dans la zone du pré-conscient, et en cela procède à un véritable «déminage» de leur charge destructrice et mortifère.

Faisons l’hypothèse que dans les moments où l’intervenant en A. de P. s’expérimente sur le registre de la fécalisation et/ou de l’impuissance radicale, s’indique une position groupale dans laquelle le fantasme possède une telle charge destructrice que le groupe éprouve comme une condition de sa survie, de n’en «rien vouloir savoir», excluant, expulsant celui qui serait à même de dévoiler la jouissance dans laquelle il se tient, et niant dès lors tout représentant d’un possible travail de pensée.

A contrario, lorsque le groupe parvient à «éprouver 296  » l’intervenant comme autorisant une jouissance légitime et interdisant les excès mortifères, une alliance se construit qui permet alors aux professionnels de s’engager dans le travail de psychisation nécessaire. Le groupe peut parler ses points d’engluement, la violence de ses rejets, ses propres jugements, et progressivement considérer la fonction différenciatrice de tels mouvements ainsi que la part de «complaisance» insue, que la situation est venue convoquer ou révéler ; ceci, dans la mesure où il a entendu un suspens du jugement. Il ne saurait en effet y avoir d’en deçà du jugement ; seule la perspective d’un au-delà, permet au «Je» de s’engager dans l’affrontement des inévitables points de confusion transféro-contre-transférentiels.

‘«Qu’il y ait dans ce «Parlêtre», régi par le déterminisme du principe de plaisir, un au-delà de ce déterminisme signifie que le sujet dispose de la capacité énigmatique du choix, entre le commandement surmoïque, qui le détermine radicalement, et le commandement symbolique, qui fait appel à ce qui en lui demeure indéterminé en tant que lié à l’«au-delà» du principe de plaisir.» (A. Didier Weill 1995297).’

Dans ce travail de subjectivation, de «décontamination», que vise le travail de l’A. de P., il est donc question de s’extraire hors de la tyrannie du jugement, hors de l’emprise du «commandement surmoïque» qui dénonce le gouffre qui sépare le «Je» de l’idéal et le pousse à s’éprouver en sa «radicale impuissance» et à s’effondrer dans son masochisme, sous la férule de la culpabilité, en lieu et place d’une assomption symbolique, et du plaisir de partager de la pensée et de la mise en pensée relative et contingente avec d’autres.

Notes
296.

La polysémie du terme dit l’épreuve et l’expérimentation sous le primat des processus primaires et originaires qui se développent dans ces rencontres.

297.

Alain Didier Weill 1995), Les trois temps de la Loi - Paris, Seuil, p. 208.