B.7.2.4 L’évocation de fantasmes, la remise en route de l’appareil à penser

Revenons pour l’heure à la séance d’A. de P. ; c’est à partir du moment où les différents éléments sources de sidération pour les professionnelles seront précisément maintenus dans le champ de la représentation et arrimés à une fiction théorique, que le groupe trouvera une capacité de subjectivation, qu’il se retrouvera en mesure d’associer, et notamment de pouvoir énoncer un certain nombre de représentations fantasmatiques. La mise en partage de représentations, qui sont venues hanter la psyché de certaines des accueillantes, témoigne de la sortie de la glaciation sidérante, de la résistance (de la non-destruction) de l’appareil psychique groupal.

À partir du moment où les «forçages» interprétatifs seront parvenus à fournir au groupe un apaisement, un changement de registre dans le fonctionnement de l’appareil psychique groupal se fera jour. Il donnera lieu à de la remise en pensée sur un mode associatif. Celles-ci conduiront à évoquer un évènement relaté par Madame Normand les jours précédents : elle rentrera un soir racontant s’être affalée dans le bus, son collant s’étant alors déchiré, et témoignant alors d’un éprouvé de «honte». À partir de cette narration le groupe des accueillantes sera à même d’associer sur la relation de cette mère et de son fils, - mentionnant les ponctuations du récit de Madame Normand par les constantes recherches d’approbation : «Hein Thomas ?» -  et questionnant cet étayage constant dans l’approbation recherchée par cette mère auprès de son fils. Le groupe sera alors à même d’interroger la honte, ce cloaque305 où analité et génitalité se confusionnent ; celui-là même où elle convie incestueusement son fils306. L’épisode du bus apparaîtra alors au groupe comme la mise en scène d’une humiliation publique, permettant aux professionnels d’imaginer une potentialité de travail de reprise des effractions traumatiques que cette femme aurait pu traverser307.

‘«Aussi dangereux ces comportements masochistes extrêmes soient-ils, leur visée n’en reste pas moins, in fine, anxiolytique et structurante, comme l’est d’ailleurs tout symptôme» (P. Decleck 2001308).’

Lorsqu’elles sont évoquées, les images sidérantes ne s’énoncent qu’au travers de propos factuels. Les faits sont amenés, présentés et déposés à l’intervenant, en l’état où ils se sont trouvé présentés, déposés au professionnel. Dans la narration de ces énoncés traumatiques, il ne saurait y avoir de secondarisation. C’est en cela que la remise en route d’une pensée associative au sein du groupe témoigne d’une première réduction de la configuration monstrueuse et médusante. Les éléments éparts et grimaçants trouvent à se rassembler en la figure d’une souffrance permettant l’émergence d’un sujet. Celui-ci peut alors être rencontré ; il n’est plus pour le groupe alors seulement question de s’en protéger jusqu’à l’exclusion. Les gouffres entrevus, éprouvés initialement comme mettant en péril l’assise professionnelle des accueillantes, peuvent être liés à la personne accueillie, aux dangers psychiques de destruction encourue par cette femme et qui n’ont de cesse de revenir «à l’identique».

Soulignons qu’a contrario de ce travail de sortie de la sidération, la jouissance groupale des professionnels c’est ce moment de déni de l’autre, ce moment où «les usagers» disparaissent (C. Henri-Ménassé). Une situation vécue individuellement par l’une des accueillies comme effractive, comme «irrecevable» peut se trouver validée dans ce même statut par le groupe. Celui-ci quitte à son tour l’investissement professionnel de «l’usager» pour venir étayer le/la collègue, ce qui suppose la condamnation du fauteur de trouble. La préservation du groupe se joue alors en collage. C’est la centration narcissique groupale qui est alors imaginarisée comme protection face aux motions pulsionnelles vécues comme effractives et destructrices de l’équilibre de l’un des siens. «L’irrecevable» est alors mis en partage (mais à l’inverse de ce que nous venons de voir, sans qu’un quelconque travail psychique ne vienne déloger le groupe du «pacte narcissique ») et l’exclusion prévaut.

Notes
305.

«La honte sent le cloaque» [Alain Ferrant (2001], Pulsion et liens d’emprise - Paris, Dunod).

306.

Dans son évocation du mythenotion mythe notion mythe notion mythe notion mythe notion mythe notion mythe notion mythe notion mythe de Persée et de Méduse Freud note la rigidité phallique entraînée par le regard de la Gorgone. Dans la relation entre Thomas et sa mère s’indique ce mouvement, où face aux gouffres de la psyché et du regard maternel, l’assimilation phallique vient jouer le leurre d’une consistance, face aux risques de la néantisation. Freud (1922) La tête de Méduse - in Résultats idées, problèmes II, trad. franç. Paris, Puf, 1985, p. 49-50.

307.

Du trajet de vie de Madame Normand, de ses origines, le groupe n’apprendra que bien peu, si ce n’est que cette femme aurait à un moment exercé le métier de «Poissonnière» - elle est par ailleurs décrite par les accueillantes comme «gouailleuse» ; de son père, on apprendra qu’il fut marin ; de sa mère qu’elle savait faire la cuisine ; de ses deux filles aînées qu’elles résident toutes deux au Canada : l’une y serait danseuse de cabaret.

308.

Patrick Declerck (2001), Les naufragés - Plon, Paris, p. 314.