B.7.2.6 La pensée : une prime de plaisir

La situation de Madame Normand donne à entendre au groupe des professionnelles cette énigme d’un sujet se transformant en déchet de l’autre, et cette complaisance dans la régression ; celle-là même par où le masochiste joue son emprise sur celui qui le sadise. Face à un tel étalement de symptômes et face à la destruction agie du fils dans l’inceste, le groupe ne saurait reconstruire (à défaut de préserver) une position de «bienveillance suffisante», d’indulgence, et accéder à un «au-delà du jugement» hors d’un temps de partage groupal. Celles-ci peuvent être reconstruites à partir du moment où le groupe devient à même d’entrevoir les figures du masochisme, et en quoi celui-ci préserve paradoxalement le «Je» du gouffre du désêtre et de l’effondrement ; effondrement dont il témoigne qu’il a précédemment été l’objet. L’érotisation outrageuse de ce couple mère-enfant peut alors être entendu comme une manière de se soutenir dans le mouvement même de sa propre destruction.

‘«Ainsi le masochisme est au départ un moyen de maîtriser une menace identitaire et de dissolution du Moi, par le pouvoir d’emprise que procure à ce Moi fragilisé, sa capacité de reprendre un rôle actif et une maîtrise sur l’environnement par le recours toujours possible à la douleur. En cela il est bien le «gardien de la vie» dont parle Rosenberg (1991). Ultime défense d’un Moi débordé contre la reddition et l’abandon au pouvoir de l’objet (ne serait-ce que par son absence et l’attente qu’elle suscite) qui lui permet par l’autodestruction un dernier triomphe sur l’objet décevant.» (P. Jeammet 2000310).’

Le travail psychique groupal requis relève bien d’un travail de liaison, de rassemblement de ces parts errantes où le sujet s’effiloche. C’est dans l’espace groupal d’A. de P. que sont ici venues se conjoindre les trois figures traumatiques-sidérantes. Les usagers ne peuvent conserver leur statut de «sujet» aux yeux des professionnels que si les derniers différencient la jouissance du plaisir à penser le psychisme et ses nouages ; que s’ils renoncent (ce que nous avons caractérisé comme «abstinence ») à ce que les sidérations acquièrent pour eux un statut d’objet de jouissance - lorsque la sidération et les traumatismes éprouvés acquièrent un tel statut, le professionnel ne fait alors que dupliquer le statut qu’ils ont déjà pour la personne accueillie : objets constants d’excitations et de «rejets-refus » (D. Vasse), étayant paradoxalement au travers de l’horreur convoquée. C’est donc l’excitation ressentie chez l’autre (à l’identique avec ce que nous avons pu apercevoir avec l’écrivain Annie Ernaux) que le «Je» trouve à faire bord à la sienne propre. Il s’assure alors d’une trace, celle qu’il imprime en la psyché de l’autre, à défaut de trouver en lui un bord à partir duquel il peut se reconnaître et se tenir.

Dans cette évocation de la situation de Madame Normand, nous avons suivi le trajet des représentations traumatiques, des sidérations auxquelles ont été soumises les accueillantes et leurs transformations en source de plaisir, dans/par la pensée. Ce plaisir de penser vient alors faire pièce aux jouissances qui n’ont de cesse de se déployer, dès lors que les charges traumatiques sont conservées, aux fins d’en éprouver l’horreur et/ou d’y noyer sa pensée.

Dans les dispositifs d’A. de P., il s’agit donc de lier dans la psyché groupale, ce que les usagers ne parviennent pas à lier dans leur propre espace psychique, et ce que le groupe à son tour ne saurait être à même de psychiser, sans un temps de reprise seconde. Ce «temps» opère alors un «forçage » visant la production d’un écart et d’une symbolisation. Lorsque les «décontaminations», les «tempéraments» ont été suffisants, l’excitation cède le pas à la pensée, et l’on assiste à un réinvestissement des «usagers» dans une bienveillance retrouvée.

Notes
310.

Philippe Jeammet (2000), L’énigme du masochismenotion masochisme notion masochisme notion masochisme notion masochisme notion masochisme notion masochisme notion masochisme notion masochisme - in André J. (sous la direction de.) L’énigme du masochisme, Paris, Puf, p. 66.