C.1.2.3 «Ça chauffe du côté du fantasme !»

‘«L’interdit n’est pas un donné, un déjà-là, un déjà-établi qu’il s’agirait pour chaque individu à travers son évolution libidinale de faire sien, d’accepter au sens où les lois de la nature on ne peut que les accepter, les reconnaître. L’interdit est une possibilité obligée.» (N. Zaltzman 2001359).’

Dans les milieux du soin et du travail social où la pulsion de mort agit massivement sa poussée, où la déliaison est centralement à l’oeuvre, le statut du fantasme en tant que configuration inconscience fait problème. Ce qui ailleurs s’organise à partir du fantasme inconscient et de l’interdit qui lui est corrélé, ici opère mal ou n’opère plus. Les différents usagers de ces institutions sont aux prises avec une faiblesse des interdits, ou se trouvent dans une relation à ces interdits qui procèdent de la transgression. Les structurations psychiques de ces sujets et leurs agirs constituent les «réponses de l’objet» de ces institutions. L’on se trouve dès lors avec une impossibilité à ce que la scène psychique se configure, à partir de l’interdit et des renoncements corrélés - modalités somme toute «habituelles» hors du champ de la pathologie.

Les institutions sont donc aux prises avec des éléments confusionnants, destructeurs des stabilités psychiques antérieures, certaines différenciations structurantes, certains processus de liaison pulsionnelle n’ayant pas trouvé à se constituer, et à frayer une voie à la pulsion dans l’ordre du refoulement, et/ou de la sublimation. C’est au reste à partir de ces «symptômes», de ces ratés de la symbolisation et de la visée de leurs transformations que se constituent les institutions. Celles-ci se caractérisent de fonder leur existence autour d’un projet de «réparation » spécifique de ces «troubles», de ces «ratés», de ces «mésinscriptions» (A.N. Henri).

Ainsi qu’on l’a vu dans la première partie de ce travail, on rencontre dans ces institutions des symptômes qui se spécifient sur le registre de la transgression, tout à la fois du côté des «usagers» et du côté des professionnels.

Du côté des «usagers»

Du côté des «usagers» l’on a affaire à des transgressions d’interdits majeurs, sources de confusions déstructurantes. Ces transgressions touchent en effet directement ou par ricochets, aux différences fondatrices et donc aux fantasmes originaires. Ils ne permettent pas aux sujets de (se) bâtir des identifications suffisamment apaisées et stabilisées, et donc de s’engager dans un processus d’historisation et d’appropriation subjectivante.

Faisons une nouvelle fois allusion aux exemples des structures d’hébergements qui accueillent des jeunes filles placées sur mandat judiciaire et qui ont la plupart du temps été aux prises avec des dynamiques de violences sexuelles incestuelles ou incestueuses. De telles configurations institutionnelles, placent ces institutions, au travers de ces souffrances et de ces «symptômes» particuliers, dans le registre du traumatique, là même où des fantasmes originaires, ayant valeur organisatrice ont été agis sur la scène de la réalité, et donc délogés de leur place de fantasmes, confusionnant ou détruisant du même coup l’organisation de la psyché du sujet.

Du côté des professionnels

Dans la fréquentation de ces jeunes filles aux prises avec la confusion générationnelle, et dans la «chaufferie transférentielle» qui s’y déploie, les professionnels se retrouvent donc au plus près de leurs propres fantasmes oedipiens, au risque de s’y perdre. La transgression de l’interdit est ainsi toujours présentifiée dans le fantasme et parfois dans la réalité des histoires de ces jeunes filles.

‘«Chaque fois qu’un fantasme originaire s’actualise dans la psyché d’un sujet, il y a eu traumatisme ou il y a potentialité traumatique. La scène primitive qui est un organisateur psychique du lien intersubjectif tant qu’elle reste discrète mais se présente, par exemple, dans la dimension traumatique des parents combinés lorsqu’elle se présente sous l’envers traumatique». (B. Duez 1999360).’

Dans un autre contexte, celui des institutions pour personnes âgées, on peut voir comment ces transgressions fantasmatiques sont agies dans le présent de la prise en charge, dans un renversement permanent des générations, dont tout acte de «nursing» se fait le lieu361.

On peut donc dire que dans ces institutions, «ça chauffe du côté du fantasme».

Notes
359.

Nathalie Zaltzman (2001), L’incestenotion inceste notion inceste notion inceste notion inceste notion inceste notion inceste notion inceste notion inceste est-il une notion psychanalytique ? – in André J. (sous la direct° de) Incestes, Paris, Puf, p. 65. Le passage en italique est souligné par l’auteur.

360.

Bernard Duez (1999), Le traumatismenotion traumatisme notion traumatisme notion traumatisme notion traumatisme notion traumatisme notion traumatisme notion traumatisme notion traumatisme psychique, de l’affect au modèle - in Canal Psy n°37, p. 6.

361.

Témoignant des soins de «nursing» (toilettes, ...), dans les institutions gérontologiques et gériatriques F. Jandrot Louka y décèle l’actualisation du fantasme «être la mère de la mère». Les actualisations oedipiennes dans le soin aux hommes âgés pourraient être également interrogées sur le registre de l’agir transgressif sous le couvert de la légitimiténotion légitimité notion légitimité notion légitimité notion légitimité notion légitimité notion légitimité notion légitimité notion légitimité professionnelle. Ces brefs rappels réfèrent à ce que nous avons évoqué dans la première partie de cette recherche, soit comment un ensemble de positions professionnelles donnent accès dans le réel à des actualisations de scènes fantasmatiques, à la réalisation d’agirs transgressifs. (Jandrot Louka F. (1980), Être la mère de la mère - Article résumé de la Thèse de III° Cycle, Centre d’Études sociologiques du CNRS UFRES Santé et Société, p. 16-26).