C.2.1

C.2.1.1 Le «pouvoir» gouffre narcissique

‘«Dans la mesure même où le pouvoir est lié à l’amour, au travail et à la mort, (...) il se révèle comme le pivot indestructible autour duquel se tisse la dramatique individuelle et sociale.» (E. Enriquez 1991373).’

De par la brillance qu’il entraîne et les «emblèmes» qu’il confère, le «pouvoir» apparaît comme lié à «la» question essentielle du «Je», la question du «désir». Dans les positions de pouvoir, la fascination narcissique se trouve potentialisée. Le pouvoir joue en effet comme un piège identificatoire, comme focalisation pour le désir des autres «Je». Dès lors la tentation est grande pour celui qui occupe une telle place de se lancer dans une poursuite (infinie) d’un «pouvoir» toujours plus conséquent. Le «Je» délaisse l’amour dont il pourrait légitimement jouir, au profit d’une toujours plus grande prestance, d’une toujours plus grande fascination et focalisation du désir d’autrui. C’est du désir d’être objet de désir, que se nourrit une telle quête. Il s’agit d’«aimanter» sur soi «le désir du «Je» de l’autre» (Piera Aulagnier). Toute conquête (amoureuse, de territoire, de prestige, ...), du «Je», réalisée au cours du périple est alors le signe qu’il n’est que le pouvoir qui vaille, de par l’aura qu’il octroie.

‘«Quelle que soit la richesse, le caractère hétéroclite, la mouvance des objets, que tout au long de son existence le Je va poursuivre, tous ces objets doivent leur brillance au pouvoir qu’on leur impute d’aimanter sur celui qui les possède le désir du Je de l’autre, et il en va de même pour les emblèmes identificatoires que le Je poursuit et convoite, emblèmes grâce auxquels l’autre reconnaîtrait en celui qui les possède celui qu’il désire. Je dirais que le désir est le seul objet circulant entre les Je, l’organisateur de ce champ relationnel et de ce champ identificatoire que chaque Je parcourt et remodèle tout au long de son existence.» (P. Aulagnier 1991374).’

Un sujet qui s’est engagé dans un tel «défilé» peut aller jusqu’à faire de lui-même celui qu’il reconnaît comme possédant l’ensemble des emblèmes qui désignent l’objet désirable, et donc comme étant celui qu’il désire : par où se rencontre le gouffre narcissique, et sa folie375.

Notes
373.

Eugène Enriquez (1991), Les Figures du maître - Paris, Arcantère, p. 73-74.

374.

Piera Aulagnier (1991), Voies d’entrée dans la psychose - (Communication orale du 27 Janv. 1991, retranscrite par S. de Mijolla-Mellor & N. Zaltzman), in Topique, Revue Freudienne, n°49, Dunod, 1992, p. 18.

375.

Il n’est pas inutile de souligner la corrélation (en passe toutefois de devenir un poncif), selon laquelle les postes de direction agissent comme de véritables «pièges à narcissismenotion narcissisme notion narcissisme notion narcissisme notion narcissisme notion narcissisme notion narcissisme notion narcissisme notion narcissisme « - les situations que nous aurons à développer en témoigneront explicitement. Signalons dans ce sens un travail de recherche, mené autour de la fonction de direction dans les milieux des établissements sociaux, par P. Dosda, H. Journet, D. Barin, P. Fustier, (1995), Les Directeurs dans le travail social, par eux-mêmes et par nous – Lyon, Publications du C.R.I.. Plusieurs articles font ainsi du narcissisme une des dynamiques essentielles dans la recherche et l’occupation de cette place de direction. Cf. notamment une des contributions de Paul Fustier intitulée «Narcissisme et direction» (p. 133-154), et celle de Danièle Barin, à qui nous empruntons l’expression de «piège à narcissisme» : «La fonction de Direction et les pièges à narcissisme du lien social» (p. 97-132).