C.2.2.1.1 La ligature d’Isaac

En écho et en contrepoint au mythe freudien de Totem et tabou, et à la dramaturgie OEdipienne, la scène sacrificielle de la «ligature d’Isaac» constitue à l’intérieur de nos cultures une figuration mythique du renoncement et de l’instauration de la primauté de la Loi. Dans Totem et tabou le meurtre du père est accompli (nous dit Freud), et c’est la mort donnée qui promeut le signifiant père, qui génère «du père » dans les fils, et entraîne le renoncement à la perpétuation de la violence meurtrière de tous contre tous, dans «l’alliance des frères», initiatrice du contrat social. Avec «le sacrifice d’Abraham », cet autre mythe fondateur, on se trouve dans une toute autre configuration. C’est alors de liaison générationnelle dans la temporalité, sous l’égide de «la Référence397 » (P. Legendre) et de la Loi, dont il est question.

Le peuple juif se constitue dans la descendance d’Abraham, rappelons-le, la «ligature » d’Isaac est donc un moment charnière où la temporalité est en danger de se clore et la filiation de se rompre de façon radicale. Dans cet épisode biblique Abraham est âgé, sa femme Sarah s’est révélée stérile, or c’est dans sa vieillesse qu’elle enfantera Isaac, selon la «promesse» de Yaveh, et de cette descendance sortira la «multitude» du peuple hébreux.

De nombreux auteurs ont souligné l’importance de ce mythe et sa place parmi les figures fondatrices qui témoignent dans nos cultures du processus d’humanisation ; mentionnons notamment M. Balmary 1986, P. Legendre 1989, D. Sibony 1992J. Hassoun 1996, ...

Abraham incarne «la» figure de «l’Ancêtre fondateur » pour le peuple juif, mais il occupe aussi une place d’importance pour l’Islam au travers d’Ismaël fils aîné d’Abraham, cet enfant qu’il a conçu avec Agar la servante égyptienne ; Sarah, en sa stérilité lui en ayant offert la couche. La figure paternelle d’Abraham est ainsi partagée par les trois monothéismes, figure dans laquelle chacune des trois religions se reconnaît. Cette figure se trouve donc aussi en position de carrefour dans les filiations et les revendications identitaires dont elles sont le lieu. Rappelons que c’est à partir du geste premier d’Abraham signant l’alliance «entre Yaveh et son peuple» que le corps des hommes sera marqué de la soumission à l’ordre du manque, dans la circoncision (Genèse 17) - autre marque dans le réel du corps de la séparation, celle qui va se rejouer dans la filiation d’Isaac, sur le bûcher sacrificiel (Genèse 22). Cette demande de circoncire a ainsi été donnée à Abraham dans le même temps où lui était annoncée la naissance à venir, celle d’Isaac.

‘«La ligature signifie l’articulation de toutes les places généalogiques sur la référence absolue. La scène est fondamentale : Abraham vient d’attacher, ficeler son fils Isaac (...) à l’autel du sacrifice pour l’égorger selon l’ordre divin ; touché par la soumission d’Abraham, Yaveh le dispense d’accomplir le meurtre, et un bélier remplace la victime. Ainsi Isaac se trouve-t-il successivement lié et délié par son père.» (P. Legendre 1989398). ’

Dans la mise en scène sacrificielle Pierre Legendre souligne la double opération qui établit du fils, et de la génération. Il y faut ce double mouvement du lier et délier. Le fils doit être initialement lié à la génération, faire l’objet d’une reconnaissance et c’est dans le pouvoir de mort potentiel du père à l’égard du fils et sa retenue, sa non-exécution, qu’une telle liaison opère. C’est dans cette possibilité d’agir sa violence meurtrière que le père va devoir se manifester comme tel, soit à reconnaître sa propre violence meurtrière et de consentir à sa propre finitude, et à la perpétuation de la vie dans la génération, et dans son fils. C’est le mouvement même qui le fait père. «‘Un père c’est celui qui cède sa place d’enfant à ses enfants’» (P. Legendre 1989399). - Ce même auteur relève comment dans la Rome antique c’est une mise en scène du renoncement à l’abandon du fils nouveau-né qui valait comme reconnaissance de paternité ; le père devait ainsi soulever l’enfant de terre, où l’y laisser demeurer, ayant à choisir entre un geste d’adoption liante et l’actualisation de son pouvoir de mort. - Ce double pouvoir : pouvoir de «liaison-séparation» caractérise l’efficience des signifiants du «Noms- du -père ». C’est au travers de l’appel créé par ces signifiants que l’infans est conduit à questionner l’origine et le désir, ces entre-deux, que ni la mère, ni le père ne sauraient dérober, sauf à entraîner perversion ou paranoïa. C’est dans cet entre-deux que le fils va trouver à s’approprier son histoire, dans la reconnaissance de sa différence et dans sa filiation.

Si «Totem et tabou» énonce comment les fils fabriquent du père dans la mort donnée, «le sacrifice d’Abraham » témoigne comment un père fabrique du fils, dans le renoncement à son pouvoir de mort400. La tragédie grecque et l’abandon d’OEdipe sur le Cithéron a contrario du sacrifice d’Abraham mettent en scène le pouvoir de mort du père sur son fils.

Notes
397.

«La Référence est une place, et la légitimiténotion légitimité notion légitimité notion légitimité notion légitimité notion légitimité notion légitimité notion légitimité notion légitimité la reconnaissancenotion reconnaissance notion reconnaissance notion reconnaissance notion reconnaissance notion reconnaissance notion reconnaissance notion reconnaissance notion reconnaissance de cette place qui met la figure du Tiers fondateurnotion fondateur notion fondateur notion fondateur notion fondateur notion fondateur notion fondateur notion fondateur notion fondateur (...) en position apodictique, c’est-à-dire d’évidence de droitnotion droit notion droit notion droit notion droit notion droit notion droit notion droit notion droit , non de fait.» (Pierre Legendre [2001], op. cit., p. 153).

398.

Pierre Legendre (1989), op. cit., p. 31.

399.

Pierre Legendre (1989), op. cit., p. 36.

400.

Par où l’on voit ce que le mythenotion mythe notion mythe notion mythe notion mythe notion mythe notion mythe notion mythe notion mythe freudien doit à la tradition hébraïque.