C.2.3 La «ligature généalogique» dans les institutions

Pour tout humain les questions de l’origine, de la mort et de la différence, ont fonction fondatrice. Toutes trois s’inscrivent dans le registre de «ce qui échappe» ; elles convoquent le travail du manque et de la séparation et partant celui de la subjectivation. Dès lors le «Je» doit composer sa route entre consentement à cette origine, en tant qu’elle est ce qui lui «échappe», et fourvoiement dans une emprise mortifère toujours teintée d’inceste - R. Dorey souligne ainsi que la relation d’emprise «témoigne aussi de ce qui subsiste inaltérable, en chacun de nous, comme part de la relation archaïque à l’objet primordial.» (1988401) -. La réponse à ce «choix» inscrit le «Je» dans une position subjective au travers de sa relation à «l’objet» et à «l’au-delà de l’objet». Elle définit sa place sur «l’échiquier identificatoire» (P. Aulagnier) entre névrose, psychose et aliénation.

Ce positionnement à l’égard de «ce qui échappe» concerne également les institutions. En référence au «sacrifice d’Abraham », et à ce mouvement d’émergence du fils dans son arrimage au père : «être lié et délié par son père», Pierre Legendre parle de «ligature généalogique». Dans ce carrefour, dans cette double liaison, se donne à entendre qu’au travers des mouvements d’émergence : « du père », et « de l’origine », se trame de la liaison pulsionnelle402. - Dans une étude portant sur le pouvoir dans l’oeuvre de Freud, P.L. Assoun403, repère la présence d’une telle articulation dans la pensée freudienne entre le pouvoir et la dualité pulsionnelle. La «pulsion de pouvoir» est ramenée, «dans la hiérarchie pulsionnelle (freudienne) à un statut intermédiaire», ce qui va dans le sens d’en faire un des points du nouage pulsionnel à l’identique avec la place «du père», et «de l’origine» dans la psyché de l’enfant.

La violence est nouée au renoncement dans le tissage de la génération. S’établissent alors simultanément de la différence générationnelle et du lien entre les générations - Ce travail de «ligature générationnelle» concerne donc aussi les institutions ; il constitue un aspect essentiel de l’établissement des liens inter et trans-subjectifs, et passe par les modalités de rapport au pouvoir ; ce pouvoir qui se caractérise d’être aussi un pouvoir de mort (B. Duez 1998404). C’est dans le lien entre les différentes générations au sein des groupes professionnels que passe le flux de l’histoire de l’institution, en son renouvellement incessant - les générations en institutions se caractérisant par leurs liens à la figure des différents directeurs qui ont effectué les recrutements et les nominations.

C’est alors une «ligature », un double mouvement de lier-délier (marque de la finitude et du renoncement à l’emprise), qui est attendu de l’institution. En tant qu’elle participe aux processus identifiants, elle se doit d’assurer les sujets d’un lien généalogique, et de mobiliser leurs investissements, dans la différence.

Notes
401.

Roger Dorey (1988), Le désir de savoir - Paris, Denoël, p. 147.

402.

Paul Laurent Assoun souligne la dynamique de ce nouage dans le processus identifiant de l’enfant en ces termes : «Si à l’essence de la relation paternelle appartient l’ambivalence, le Père se désigne comme cette «personne « très particulière qui tolère d’être à la fois aimée et haïe - ce qui ouvre la voie de l’identification -, mais permet aussi bien à l’amour et à la haine de se «fréquenter» en quelque sorte. Lorsqu’on sait qu’ils sont étrangers l’un à l’autre, le complexe paternel fournit l’occasion majeure de les faire «cohabiter», non certes pacifiquement - c’est une véritable bataille qui alors fait rage -, mais c’est d’en «découdre» que les deux principes en viennent à entrer «en commerce» l’un avec l’autre.» (P L Assoun, [1995 b], Portrait métapsychologique de la haine : du symptôme au lien social - in La Haine, la jouissance et la Loi - Psychanalyse et pratiques sociales II - sous la direction de P.L. Assoun et M. Zafiropoulos, Anthropos, Paris, p. 146).

403.

Paul Laurent Assoun (1994 a), La psychanalyse à l’épreuve du pouvoir - in Analyse et réflexion sur le pouvoir - Volume II, Ouvrage collectif, Paris, Ellipses, p. 61.

404.

B. Duez développe une telle perspective de «l’actualisation du principe de mort», comme ce qui caractérise le pouvoir du «cadrenotion cadre notion cadre notion cadre notion cadre notion cadre notion cadre notion cadre notion cadre «. »Toute relation de pouvoir contient (...) l’actualisation du principe latent du cadre à savoir de différencier, désigner et éventuellement d’exclure. Ceux qui sont en charge du pouvoir sont donc symboliquement pourvus d’un droitnotion droit notion droit notion droit notion droit notion droit notion droit notion droit notion droit potentiel d’actualisation du principe de mort.» (Bernard Duez [1998 a], Un destin de thanatos : la relation de pouvoir - in Le pouvoir, Cahier de Psychologie Clinique n°10, Bruxelles, De Boeck Université, p. 85.