C.4.1.2.2 La tentation régressive : l’aliénation aux figures de l’archaïque

Face aux éprouvés de solitude qui «travaillent» le sujet, une tentation régressive se présente à lui sous la forme d’une double aimantation qui convoque les figures de l’aliénation et de l’emprise, en leurs aspects radicaux.

Un des pôles de l’aimantation conduit à poursuivre «l’odyssée conquérante», soit à demeurer dans la fascination héroïque des affrontements. Dans cette voie, le jeu oscille entre dévorations, engloutissements, meurtre et possession de l’institution en place «d’objet» maternel. Sur le pôle opposé-complémentaire, le «Je» peut jouer de sa dépossession par l’imago maternelle identifiée à l’institution ; soit jouer son assujettissement à cette imago, au registre de l’archaïque, et aux délices de captation et d’emprise qui en sont escomptés.

‘«L’institution est (...) ordonnée à des fonctions psychiques, elle mobilise nécessairement des formations archaïques et oedipiennes de la vie psychique.» (R. Kaës 1996459).’

«‘Etre seul, c’est être seul face à ça !’». Les différentes tentations se présentent au «Je» en un «jeu» d’aliénation : posséder - être possédé, aliéner - s’auto-aliéner, assujettir - s’assujettir, en une volonté d’«exclusion de toute cause de doute, de toute cause de conflit, de toute cause de souffrance» (P. Aulagnier 1979460), de toute instance susceptible de faire brèche, de faire tiers.

‘«Pour préserver cette exclusion le Je est alors dans l’obligation de prendre en charge la mise à mort de ces parties de sa propre activité de pensée qui permettent de la différencier de ce qui ne serait plus qu’une activité de répétition, de mémorisation, de reprise en écho d’un déjà pensé par un autre et pour toujours.» (P. Aulagnier 1979461).’

C’est à la lumière des violents remaniements oedipiens que précipitent ces places de direction qu’il nous est possible de comprendre un certain nombre de décompensations psychiques de directeurs peu de temps après leur arrivée dans leurs nouvelles fonctions. Lorsque des sujets aux prises avec une problématique oedipienne mal pacifiée se retrouvent en place d’être l’objet élu de l’institution, le fantasme incestueux envahit la scène en un véritable incendie. L’interdit oedipien inscrit dans la configuration hiérarchique préservait jusque-là le sujet. Lorsque ce verrou saute, le «Je» se perd, se désarrime de ces butées qui lui servaient d’amarrages externes. Il s’engloutit dans son fantasme et se morcelle462.

‘«La confrontation à l’OEdipe est susceptible d’entraîner une re-sexualisation régressive des positions masochistes antérieures, mais qui seront d’autant plus prégnantes qu’existera ce défaut dans les assises narcissiques.» (P. Jeammet 2000463).’

Un autre symptôme témoigne de ces éclatements, ou de façon moindre, de ces égarements du «Je» : ainsi de l’ensemble de ces comportements sexuellement et/ou financièrement déviants. Les licenciements de directeurs pour dérives frauduleuses sont pléthoriques, et procèdent de cet effondrement des interdits sous la poussée du remaniement psychique que génère la fonction. N’étant plus «soumis» à une instance extérieure représentante surmoïque de l’autorité, n’étant plus «contraints» par un père interdicteur, les sujets n’ont de cesse de pousser plus avant les limites du licite. Ils s’engagent alors dans la recherche d’un nouveau signifiant de l’interdit (toujours extérieur au «Je») et ce faisant s’égarent dans les dédales de la jouissance - La situation «Pygmalion intempérant» (dans la suite du texte) nous permettra de clarifier ce mouvement et de voir oeuvrer une telle déviance sur le versant d’une confusion générationnelle.

Notes
459.

René Kaës (1996 b), Souffrance et psychopathologie des liens institués, une introduction - in Kaës R. et alii, Souffrance et psychopathologie des liens institutionnels, Paris, Dunod, p. 47.

460.

«Le désir d’aliéner comme le désir d’auto-aliénationnotion aliénation notion aliénation notion aliénation notion aliénation notion aliénation notion aliénation notion aliénation notion aliénation n’ont pas comme seule motivation l’espoir de rendre moins insistante, moins fréquente, moins dramatique, l’épreuve du doute et le conflitnotion conflit notion conflit notion conflit notion conflit notion conflit notion conflit notion conflit notion conflit qui en résulte entre le Je et ses idéaux (...) ce que visent ces deux désirs, le signe de leur démesure, est l’exclusion de toute cause de doute, de toute cause de conflit, de toute cause de souffrance.» Piera Aulagnier (1979), op. cit., p. 15.

461.

Piera Aulagnier (1979), op. cit., p. 15.

462.

Ainsi de cette directrice en soins infirmiers Madame «L» qui (à l’occasion d’un séminaire de formation) reconsidérait les relations qu’elle avait entretenues avec ses supérieurs hiérarchiques au temps où elle-même était en fonction de cadrenotion cadre notion cadre notion cadre notion cadre notion cadre notion cadre notion cadre notion cadre de santé et qui décrira sa réaction face à l’autorité de sa directrice de soins d’alors. Lorsque celle-ci lui enjoignait la réalisation d’une tâche définie, elle se plaçait dans un «souverain» dédain, énonçant intérieurement : «Chante, beau merle, tu m’intéresses !».

Ce qu’une telle position donne à entendre c’est le refusnotion refus notion refus notion refus notion refus notion refus notion refus notion refus notion refus qui vient se nouer à une rivalité meurtrière, - refus qui est ici celui de l’autorité d’une autre femme. À partir de cette configuration on ne sera pas étonné d’apprendre que pour l’obtention de son propre poste de directrice, cette personne évincera une de ses collègues alors en place, celle-là même qui l’avait informée d’une vacance de poste et l’avait invitée à poser sa candidature dans l’institution, de manière à venir la seconder. Ce poste d’adjointe représentait une promotion importante pour Madame «L». Dès son arrivée en cette nouvelle fonction et cette nouvelle institution, elle n’eut alors de cesse de manoeuvrer afin de se retrouver dans la fonction occupée par sa collègue. C’est du «haut» d’un tel succès qu’elle témoignera de son épuisementnotion épuisement notion épuisement notion épuisement notion épuisement notion épuisement notion épuisement notion épuisement notion épuisement .

À nouveau ce qui s’impose ici c’est la question de la jouissance sous le primat d’un narcissismenotion narcissisme notion narcissisme notion narcissisme notion narcissisme notion narcissisme notion narcissisme notion narcissisme notion narcissisme de mort. De par son «succès» cette directrice se retrouvait aux prises avec une dynamique incestueuse agie sur la scène professionnelle. Elle tentait alors, quelque peu désespérément d’ignorer la culpabilité qui venait poindre en sa fatigue. Sa dénégation ira jusqu’à énoncer dans le groupe de formation une plainte portant sur la non-coopération de sa «collègue», celle dont elle venait de ravir la place, déniant (par trop) ouvertement l’existence d’une quelconque rivalité. Or de se retrouver dans une telle place, elle se trouvait à devoir faire face aux figures grimaçantes de son propre refusnotion refus notion refus notion refus notion refus notion refus notion refus notion refus notion refus et de ses manoeuvres destructrices. C’est elle désormais qui se trouvait en place d’être en ce lieu où viennent se focaliser les visées meurtrières, cible de l’envie destructrice (dont elle connaît la violence). Elle se retrouve dès lors potentiellement promise à une mise à mort professionnelle. La position incestueuse lui interditnotion interdit notion interdit notion interdit notion interdit notion interdit notion interdit notion interdit notion interdit tout accès à une position de repos, et peut précipiter une dérive paranoïaque. C’est alors un hyper-contrôle «épuisant» qui s’offre comme leurre d’une protection face au désarrimage du «Je» d’avec ses ancrages symboliques dans la générationnotion génération notion génération notion génération notion génération notion génération notion génération notion génération notion génération , celui que l’accès à cette position a généré.

463.

Philippe Jeammet (2000), L’énigme du masochismenotion masochisme notion masochisme notion masochisme notion masochisme notion masochisme notion masochisme notion masochisme notion masochisme - in André J. (sous la direction de), L’énigme du masochisme Paris, Puf, p. 66.