C.5.1 Passages généalogiques et confrontation des institutions à la temporalité

Les chapitres précédents nous ont permis d’esquisser un certain nombre de mouvements dynamiques qui caractérisent les appareils psychiques groupaux institutionnels (dans le champ du soin et du travail social), et de configurer un certain nombre d’appareillages de liens inter-subjectifs et trans-subjectifs. Nous voici donc en mesure de reprendre quelques unes des hypothèses que nous avons profilé dans notre introduction. Lors des passages généalogiques, les institutions ne sauraient se dérober à choisir entre emprise et « consentement à ce que ça échappe », entre rendre captif le mouvement de l’histoire ou laisser ouvertes les potentialités du futur au travers des transformations que seraient en mesure de mettre en oeuvre les héritiers.

Lors des temps de passages générationnels les dynamiques d’arrimages symboliques qui se jouent à partir de la personne du directeur sont en obligation d’être remaniées. Le flux de l’histoire est alors en péril d’être rompu ou écrasé. - Nous avons souligné au cours du texte comment certains autres évènements présentent des potentialités de déliaisons tout aussi conséquentes : ainsi des nouvelles constructions, des changements dans les affiliations et les structures administratives des institutions (fusion, assimilation dans des associations plus larges, ...). L’ensemble de ces évènements joue de façons analogues aux changements générationnels de directeurs, en tant que ruptures valant comme marqueurs temporels. Ces évènements produisent aussi un remaniement dans le positionnement imaginaire et les arrimages symboliques des groupes institutionnels. Ils ré-interrogent les fondements, potentialisent un bouleversement dans la relation à l’idéal institutionnel, (...).

• Nous allons en voir une illustration dans la suite du texte par le biais d’une situation baptisée pour la circonstance : «‘L’angoisse d’une transmission catastrophique - Les Terrasses’».

Avec le changement de la personne en place de garant institutionnel, un mouvement de remaniement a lieu dans l’économie psychique de l’institution, au travers notamment d’un remaniement des investissements qui se tramaient à partir de ce représentant du méta-organisateur oedipien. Une telle déliaison peut entraîner une «réaction en chaîne», le groupe professionnel (au travers de certains de ses membres) refusant de consentir à cette temporalité, à la marque du manque qu’elle dévoile. Le groupe peut ainsi refuser de faire de la place à toute nouveauté, et s’opposer au flux vital, au travers du renouvellement des générations. Durant ces temps de déliaisons des configurations existantes, les angoisses antérieurement liées dans les étayages mutuels, refont surface ; les mouvements d’emprise révèlent alors leur potentiel de violence et de mort, et leurs attaches incestueuses : plutôt détruire (ou se détruire) que de se séparer.

Ces refus (potentiels) peuvent prendre divers biais et se jouer à partir de la personne du directeur et/ou à partir du groupe des professionnels. Toutefois, quelle que soit la manière dont la violence mortifère se met en acte, elle procède d’un désarrimage du symbolique et se trame donc à partir de la personne du garant institutionnel. Ainsi de ces groupes qui au moment du départ d’un directeur font refluer la libido sur le groupe lui-même, clôturant dès lors toute voie d’accès au successeur. Dans ce cas de figure nous nous trouvons avec une emprise du directeur partant, mise en acte dans et par le groupe, sur la personne du successeur.

• Nous allons développer cette perspective dans notre chapitre intitulé : Passage générationnel, écrasement de la temporalité et filicide, notamment au travers d’une institution baptisée : «Un directeur fondateur casse son «objet» en son départ» ; puis de celle intitulée «Bruno Bettelheim et son successeur».

Nous allons donc nous centrer sur les mouvements qui se jouent à partir des garants institutionnels. L’histoire doit tout à la fois échapper à celui qui part - puisqu’il en est d’autres qui le suivent-, et à celui qui arrive - d’autres l’ayant précédé⁴⁸².

Cette perspective sera développée à partir de différentes situations :

• «Un nouveau directeur d’hôpital réformateur et terroriste»,

• «Le révolutionnaire et le règne de l’arbitraire»,

• «Pygmalion intempérant, un «révolutionnaire» et la dérive perverse.

Or ces places de directions sont marquées par la problématique du pouvoir ; de ce fait les enjeux oedipiens viennent s’y développer entre «assomption symbolique de l’organisateur oedipien » et captations mortifères. Lors des passages généalogiques, il est question de transmission, et plus spécifiquement de transmission du pouvoir, soit de cette possession imaginaire du «phallus » censé octroyer «la jouissance», combler le manque⁴⁸³.