C.6 Passage générationnel, écrasement de la temporalité et filicide

‘«L’aliénation concrétise une tentation qui (...) a été et reste présente dans l’activité de pensée de tout Je : retrouver la certitude, exclure et le doute et le conflit.» (P. Aulagnier 1979487).’

Tout «Je» qui se prend pour l’origine, se met simultanément en place (vertigineuse) d’avoir à diriger sa propre destinée et celle de son oeuvre. Le rapport à l’origine n’est structurant et producteur d’humanité, que d’être ce lieu où ça échappe 488. Au moment où un directeur d’établissement se confond avec l’origine, au moment où il confusionne création et origine, il ne n’est plus à même de consentir à ce que l’institution lui «échappe». Il s’efforce alors d’être le «maître de la destinée», opération censée lui garantir une position d’immortalité, au travers de son oeuvre. Pour ce faire il lui faut suspendre la temporalité et viser «la fin de l’histoire», qui n’est autre que la fin de la génération. Il ne saurait dès lors y avoir de successeur, à moins que celui-ci ne duplique le modèle initial et se transforme en clone. Pour fournir au fondateur cette immortalité imaginaire, «son» oeuvre se doit de continuer «sans aucune interruption après (son) départ» ; elle se doit «de fonctionner de la même manière que par le passé» (B. Bettelheim489).

Nous allons observer successivement deux situations où il est question de passages généalogiques. Dans une première, on va voir la mise en oeuvre de l’écrasement de la temporalité, sous la forme d’une (tentative de) destruction de l’institution. Le directeur-membre fondateur de «son» institution va jouer une dynamique de casse, à l’occasion de son départ. Nous irons ensuite regarder le point de vue d’un directeur-fondateur Bruno Bettelheim, au travers des propos écrits durant la période où se jouait sa succession à la tête de l’École Orthogénique de Chicago. On assiste au travers de ces propos à une tentative d’effondrer la temporalité sous le poids de l’idéal ; le fondateur se transformant alors en statue du commandeur. La temporalité est immobilisée et fait l’objet d’une tentative de glaciation.

Dans les deux situations sous des modalités différentes, on assiste à une tentative de rapt de «l’âme» de l’institution. Dérober l’âme, c’est ôter à l’institution la source de sa vitalité, et mettre en cela un terme à son évolution ; c’est dérober la temporalité.

Dans la première situation au «Foyer La Rivière», c’est au travers d’une dynamique de «casse» et de la mise en place d’une succession «impossible», que ce vol et cette dynamique de meurtre ont lieu. À l’École Orthogénique, c’est au travers d’une tentative d’immobilisation que celle-ci va entraîner la disqualification du successeur, son expulsion, puis dériver vers un fantasme de clonage. Dans ces deux institutions, il n’y a de ce fait pas de place pour le futur, et donc pas de place consentie au successeur dans la différence. Lors de ces temps de passages généalogiques, les deux directeurs, en leurs départs, agissent la violence meurtrière du filicide.

Notes
487.

Piera Aulagnier (1979), Les destins du plaisir - Paris, Puf, p. 37.

488.

Nous avons avancé des propositions en ce sens dans notre chapitre : «La ligature générationnelle».

489.

Ces propos sont ceux de Bruno Bettelheim, fondateurnotion fondateur notion fondateur notion fondateur notion fondateur notion fondateur notion fondateur notion fondateur notion fondateur charismatique dont nous allons examiner la situation ci-après. Ces expressions sont celles qu’il utilise pour parler de sa succession à la tête de l’École Orthogénique.