C.6.1.2 L’abandon d’un enfant abîmé et la crise de succession

Lors de cette «tasse de café-confidence» du directeur, l’impression qui a prévalu pour l’intervenant fut celle d’être littéralement «pris en otage», et de se retrouver instrumentalisé, au service de la perpétuation de la destruction de l’institution. À y regarder de près, ce directeur était réellement en train de prendre l’institution en otage, sous la contrainte d’une atteinte narcissisme inassumable, qui l’amenait à quitter la place et à détruire «son objet».

À propos du départ, il faut encore préciser, qu’il se jouera sous la forme d’un faux «vrai-départ». Sous le prétexte de la préservation de son propre statut de salarié, ce directeur ne parvenait pas à dire qu’il partait réellement pour prendre la direction d’un autre établissement. Il commença par annoncer au groupe une «mise en disponibilité» d’un an. Il voulait en effet préserver sa place, «au cas où !» ; soit donc se garder la possibilité de revenir, si d’aventure dans son nouveau poste, ça ne fonctionnait pas. Pris dans une dynamique meurtrière, et empêtré dans son fantasme de casse (D. Anzieu) il ne se trouvait donc pas en mesure d’affronter une véritable séparation, et pour lui-même de prendre un risque réel dans la confrontation à une autre institution - celle-ci allait immanquablement être l’institution d’un autre, du seul fait d’exister avant son arrivée. Avec la visée de prendre une autre direction, il se retrouvait en place d’être lui l’étranger ; de devenir celui dont il rejetait la place dans sa propre institution. Il lui fallait donc conserver la possibilité fantasmatique et régressive de revenir vers l’institution qu’il avait lui-même façonnée et qui l’avait promu directeur, afin de se préserver de sa propre violence venant l’atteindre en un mouvement projectif dans son propre futur. Se mettait ainsi en place pour lui-même un paradoxe inextricable qui l’amenait à s’arrimer imaginairement à ce dont il cherchait à se séparer. En rendant sa propre succession impossible et donc en mettant en place un rapt de la légitimité, et l’exclusion programmée de son successeur, il se retrouvait submergé à son tour par l’angoisse d’être lui l’objet d’une telle mise en acte mortifère de la part du directeur précédent (dans l’institution qu’il allait rejoindre sous peu). Ceci générait une véritable confusion relative à sa place dans la génération. Il s’apprêtait à succéder à un autre, tout en refusant à son propre successeur d’occuper la place.