C.6.1.3 Sceller le narcissisme au temps révolu de la fondation

Au niveau du «Foyer La Rivière» ce qui était apparu dans un premier temps comme une crise identitaire, se doublait donc d’une crise de succession, caractérisée par ce départ du directeur-fondateur. La transformation structurelle ne lui permettait plus de maintenir le fantasme qui sous-tendait sa place : «être le seul maître à bord», et le nourrissage narcissique auquel il donnait lieu. Face à la position de «dépendance » et de contrôle requis par le nouvel organigramme il choisira de «casser» son «objet» plutôt que de le voir se transformer en «objet» gratifiant, au bénéfice d’un autre. La dynamique se révélait ainsi comme une tentative d’écrasement du passé, et de rapt de la temporalité.

‘«Le fondateur, ou le refondateur militant vit en symbiose avec «son» établissement ; il constitue avec lui une monade. D’où les phénomènes décrits sous le nom d’identification institutionnelle (Fustier 1993) : l’absence de recul, de séparation, l’indifférenciation entre le moi du fondateur et l’établissement dont il a la charge. Quand cette problématique est active, on sent bien que mettre en cause, même superficiellement, l’établissement, c’est atteindre dans sa chair le fondateur ou le refondateur militant, c’est le blesser car c’est une partie de lui-même qu’on attaque.» (P. Fustier 1999494). ’

Même si ces propos de Paul Fustier réfèrent à des personnages charismatiques, ils concernent, dans une mesure moindre, tout fondateur. La casse, révèle l’impossibilité pour ce directeur d’assumer l’image de son institution, au regard de sa nouvelle appartenance structurelle. Après dix-huit ans d’existence, il n’a pas pu procéder au remaniement requis de ses identifications. L’inacceptable pour cet homme c’est de se retrouver non plus directeur-fondateur, seul garant du «Foyer La Rivière», mais directeur parmi un ensemble de directeurs, anonymes, soumis à la comparaison entre ces mêmes positions professionnelles occupées par d’autres (à la poursuite leurrante de «l’excellence495«) vs sa propre institution «familialiste».

Dans sa «rage», il lui faut mettre à mal et/ou détruire tout ce qui dans le futur pourrait être source d’un fonctionnement gratifiant, et donc susceptible de fournir à d’autres une prime narcissique. L’illusion d’une complétude doit être attachée à sa personne, et fixée au passé ; ce passé marqué de son «empreinte». D’extensions en créations, le «Foyer La Rivière» était parvenu à alimenter le narcissisme groupal, tout au long de ces dix-huit années. Cette illusion d’accomplissement doit demeurer l’apanage de ce directeur, et demeurer inaccessible, enfouie à l’intérieur d’un temps désormais révolu. Il ne saurait dès lors y avoir d’héritier à même de reconduire un contrat narcissique groupal, dans la chaîne des générations.

L’héritage est refusé, dans une rupture avec le «bon» fonctionnement antérieur. Ne doit demeurer dans les mains des nouveaux responsables que la violence issue des déceptions et des rancoeurs. Celui qui tout au long de ces années était parvenu à mettre en place et à préserver un fonctionnement somme toute «suffisamment» gratifiant, est celui-là même qui va s’employer à détruire, à déstabiliser l’ensemble des solidarités groupales.

Ce qui doit disparaître avec le directeur-fondateur c’est précisément «l’âme» de l’institution. Si on lui a volé «son» institution, dans la casse il en dérobe l’âme. S’il est inévitable qu’il y ait un héritier, celui-ci est convié à n’être qu’un «gestionnaire» (P. Fustier 1999) à même de faire tourner une machinerie «sans âme». Ne reste au mieux qu’une coquille sans valeur. La tentative est celle d’enchaîner le narcissisme dans un temps désormais révolu, dont il ne reste que les ruines 496.

Notes
494.

Paul Fustier (1999 a), op. cit., p. 37.

495.

Georges Dumézil dans un entretien accordé à la revue «Autrement», peu de temps avant son décès, finissait son intervention titrée «L’excellence introuvable», sur ces mots : «Pour moi, au fond, l’idéalnotion idéal notion idéal notion idéal notion idéal notion idéal notion idéal notion idéal notion idéal de l’homme c’est le contraire de l’homme excellent ; l’homme qui sent son provisoire et ses limites, à savoir qu’il n’est pas excellent.» On se trouvait alors (1986), (mais la mode est encore en cours) dans cette période où le vocable faisait florès, et notamment dans la formation des «nouveaux» directeurs. Sur un mode «entreprenarial», ceux-ci en arrivaient à oublier qu’il était tout de même question de handicap et de quelques autres «limitations». (G. Dumézil [1986], L’excellence introuvable. Entretien avec Georges Dumézil - in Autrement , l’Excellence).

496.

Paul Fustier dénomme ce passage celui de la transformation d’une «fondationnotion fondation notion fondation notion fondation notion fondation notion fondation « en «institution». Il s’agit bien de cette transformation d’une institution unique (création collective des anciens et des fondateurs), en une institution «comme il en est tant d’autres». Dans ce mouvement, le futur est condamné en tant qu’il ne sera jamais plus cet heureux temps où chacun s’est vécu comme créateur, se rapprochant en cela d’une dimension de «sacrénotion sacré notion sacré notion sacré notion sacré notion sacré « (dimension attachée à toute création ainsi que le souligne M. Éliade 1957). Voir P. Fustier 1999a, op. cité, notamment p. 16-40).