C.6.1.3.1 Le dernier sabotage à l’adresse de l’héritier

Soulignons qu’une fois réalisée la destruction des étayages groupaux antérieurs, au moment où cet homme quittera l’établissement, il aura soin d’en laisser la direction par intérim au chef de service qu’il avait lui-même engagé peu de temps auparavant. Ce dernier acceptera cette place et se retrouvera aussitôt violemment attaqué et disqualifié par le groupe éducatif. Celui-ci l’accusera par courrier officiel adressé aux tutelles : d’«abus de pouvoir», de «harcèlement», de «maltraitance», et ce, moins de deux mois après sa prise de poste. Le directeur-fondateur avait pris soin de poser un dernier acte, qui jouera le rôle de «bombe à retardement», au travers du refus de l’embauche d’une jeune professeur qui venait de réaliser plusieurs contrats à durée limitée et de partager le quotidien de bon nombre d’éducateurs. Ce dernier acte de «sabotage» du directeur-fondateur sera attribué par le groupe des professionnels à l’intérimaire. Ce qui est alors cassé, dans ce refus d’embauche, c’est le processus des affiliations au sein du groupe des professionnels. Cette procédure faisait en effet jusqu’alors office de règle tacite de recrutement, et l’ensemble des professionnels avait suivi cette procédure.

Au travers de cet acte, la filiation est signifiée comme échappant au groupe. Les configurations et les processus qui auraient pu permettre à ce groupe d’établir des transitions et de survivre au départ de son directeur-fondateur en s’appropriant le projet antérieur, sont entachés de violence et/ou détruits, ne permettant pas à une pensée de se déployer, au travers des affects mobilisés ni à l’histoire de se poursuivre.

À partir de ce refus de recrutement, une tentative de meurtre professionnel du chef de service directeur par intérim, sera donc orchestrée par les plus anciens des éducateurs ; ceux-ci revendiquant leur place d’héritiers à cet endroit, et ne pouvant reconnaître à cet «étranger» nouvellement arrivé d’occuper la place de la référence. Ce mouvement des anciens parachève l’enfouissement de la légitimité dans le passé, et donc ne prise à la visée mortifère de la déliaison. Dans ces positions les anciens revendiquent la prime narcissique, «au nom» du passé, soit «au nom» d’une imaginaire origine, dont ils tentent à leur tour de s’emparer.

Dans cette institution, tout s’est déroulé comme si ce directeur avait voulu écraser lui-même la temporalité. Écraser le passé permet alors de tuer le futur. Dans la casse, il s’agit de transformer l’institution en une structure anonyme, de la priver de son «âme». Le directeur en son départ-abandon tente de dérober cette âme en s’y assimilant, refusant dans l’agir destructeur que quelque autre puisse prétendre en incarner «un bout» (dans la mesure où il n’est pas en capacité de détruire l’institution elle-même). S’il a été le «projet identificatoire» (P. Aulagnier) de l’institution, ce projet doit s’effondrer avec son départ. C’est donc bien un «‘écrasement de la temporalité’ » auquel on assiste dans ce départ. Et, n’eut été la présence d’un intervenant dans les parages de ce passage 497, et la mise en parole de la dynamique en cours, le meurtre du suivant avait toutes les chances d’être consommé, en un véritable filicide institutionnel.

Notes
497.

Quelques mois après la fin du contrat initial, et suite aux attaques en règle du Chef de service-directeur par intérim, l’institution demandera une reprise de l’intervention institutionnelle pour quelques mois.