C.6.2 Dérober l’idéal du groupe à l’occasion du départ

A contrario de ce que s’est joué dans cette institution «La Rivière», où le directeur part dans la haine et le ressentiment, sans même un rituel festif, après dix-huit ans de fonctionnement, on rencontre plus fréquemment des directeurs (notamment des directeurs en position de fondateurs, mais aussi l’ensemble de ces prétendants au titre de refondateur et/ou de nouveau leader charismatique498) qui s’arrangent pour incarner jusqu’au jour de leur départ «l’idéal du groupe». De ce fait, il ne reste à celui qui arrive qu’à hériter du deuil et de la violence issue de la déstabilisation des étayages, violence antérieurement liée, mise en dépôt dans la structure et dans les liens ; lors de ces temps de passages, ces dépôts se démutisent. Le nouvel arrivant est refusé par le groupe, mis en position de voleur, voire de meurtrier imaginaire de son prédécesseur. Il devient le destinataire de toutes les déceptions et de la violence issue de la dépression, elle aussi refusée. Dans ces cas de figure, on assiste alors à de fréquents licenciements de ces successeurs refusés, de ces «directeurs-seconds». Toute dynamique de «don 499», de consentement à la temporalité, «à ce qui échappe» est absente : ni le directeur partant, ni le groupe ne sont à même de réaliser le moindre consentement à l’octroi du «don du pouvoir» au nouvel arrivant. Toute la légitimité a fait l’objet d’une captation par celui qui dans son départ s’installe à demeure. On rencontre alors dans ces institutions des fonctionnements «sacralisés», intouchables. Tout élément organisationnel devient «signifiant» de l’illusion antérieure que le groupe se refuse de quitter ; certaines pièces, certains lieux se transforment en mausolées, certaines organisations en commémorations permanentes.

Un exemple des plus caractéristiques de cette configuration institutionnelle ou un directeur-fondateur ne parvient pas à quitter «sa création», nous est fourni par la situation de Bruno Bettelheim lors de son départ à la retraite, et de sa position à l’égard de l’École Orthogénique de Chicago, école qu’il venait de diriger pendant près de trente ans500. Nous proposons de conférer à cette situation le statut d’archétype de ce passage généalogique, où se joue une disqualification professionnelle du successeur, équivalent à un filicide, au travers des traits caricaturaux qu’elle comporte.

Notes
498.

Paul Fustier note combien existe dans ces institutions une attente messianique, celle-là même auquel le leader qui se veut charismatique va tenter de s’associer. (P. Fustier 1999a), op. cit.

499.

Le «donnotion don notion don notion don notion don notion don « au sens où nous l’entendons ici est précisément cet investissement de l’autre en une place, au travers de laquelle le donateur consent à ce que «cela lui échappe» (pour un bout) - par où l’on voit que cette question du don convoque fondamentalement celle de l’altériténotion altérité 171notion altérité notionaltériténotionaltériténotionaltérité, et de la générationnotion génération notion génération notion génération notion génération notion génération.

Dans une approche plus anthropologique, l’échangenotion échange notion échange notion échange notion échange notion échange notion échange notion échange notion échange par le donnotion don notion don notion don notion don notion don notion don notion don notion don (M. Mauss 1923-1924, C. Levi-Strauss 1950) correspond à une modalité d’échange social (sociabilité primaire tramée dans nos sociétés à la sociabilité secondaire de l’échange marchand [A. Caillé 1994, J. Godbout 1992, 1994, J. Starobinski 1994, M. Vaillant 1994]). Ce regard anthropologique est une autre manière de témoigner de la circulation des flux, et notamment de la circulation libidinale entre les sujets. Les notions de pactes et de contrats groupaux, sont dans cette approche, considérés du point de vue de obligation au «contre-don« ou de la mise en position de «dette«. Nous avons nous-mêmes proposé une différenciation entre ces deux mouvements dynamiques lors de notre travail de Dea (1997), Transmissions et dons légitimants en institution - entre violence et reconnaissancenotion reconnaissance notion reconnaissance notion reconnaissance notion reconnaissance notion reconnaissance notion reconnaissance notion reconnaissance notion reconnaissance «. Paul Fustier développe une approche référée à la question du don dans un croisement entre métapsychologie psychanalytique et anthropologie clinique, en une centration sur les cycles d’échanges au sein des institutions (2000 b, Le lien d’accompagnement - Entre don et contrat salarial - Dunod, Paris). Soulignons également autour de ces mêmes questions du don et de la dette, et de leur tramage avec l’approche clinique référée à la métapsychologie psychanalytique le travail de Benjamin Jacobi (B. Jacobi [1992], L’intérêt de la dette - Cliniques Méditerranéennes, De l’argent à la dette (clinique de la dette), n° 33/34, Éres, p. 117-124.

500.

Paul Fustier à qui nous devons d’avoir attiré notre attention sur ce texte, propose lui-même une lecture du modèle de la prise en charge et de la position éducative proposée par B. Bettelheim, au fil de ces quelques pages (ainsi qu’à partir du témoignage de Geneviève Jurgensen, au travers de l’ouvrage dont la préface de B. Bettelheim est issue). P. Fustier souligne la position «sacerdotale» (que l’on verra émerger sous la plume de B. Bettelheim) comme partie constitutive des modèles d’accompagnement dans le secteur de l’enfance inadaptée (et du travail social). L’autre imagonotion imago notion imago notion imago notion imago notion imago notion imago notion imago notion imago (clivée de la première) qui sous-tend la prise en charge éducative est définie par lui comme la figure du «mercenaire», de celui qui ne connaît pas la gratuité. P. Fustier (2000 b), op. cit., p. 16-18.