C.6.3.2 Le filicide

La part de violence et l’aliénation que suppose un projet comme l’École Orthogénique, ne saurait être que dénié. La légitimité se trouve toute entière rassemblée dans les mains d’un seul. Chacun des professionnels construit et nourrit son narcissisme à partir de lui, dès lors il devient impossible d’interroger son exigence et son arbitraire. À l’occasion du départ du fondateur-charismatique cette violence passionnelle qui soude chacun des professionnels au fondateur charismatique est rendue à chacun.

‘«Ce qui est refoulé ou dénié chez les fondateurs se transmet et se représente dans le groupe, et l’organise symétriquement : ce qui n’est pas analysé et demeure refoulé, ou dénié fait l’objet d’une alliance inconsciente pour que les sujets d’un lien soient assurés de ne rien savoir de leurs propres désirs.» (R. Kaës 1999509).’

C’est à partir de la légitimité de la violence incarnée par le pouvoir, que le successeur est destitué. «‘Le pouvoir est l’usage légitime de la violence’» selon l’aphorisme de Max Weber. En ce sens c’est bien le père fondateur qui tue un fils, (ou celui qui aurait l’audace de prétendre à une telle place). Cette place se caractérise alors de disparaître en chacun des membres du personnel, dans la mesure où chacun prétend à se reconnaître et à être reconnu comme l’enfant du père ; la place est alors occupée par tous et refusée à chacun. En cela elle est déniée au «second » qui prétend se placer dans une différence, dans ce temps de reflux narcissique. Pour survivre au départ du fondateur charismatique, dans le dé-nouage des étayages et le remaniement de leurs identifications, les professionnels ne peuvent que revendiquer leur place d’héritiers légitimes, s’identifiant à l’exigence de leur modèle et disqualifiant à leur tour les nouveaux qui n’accepteraient pas de se ranger dans un apprentissage dont ils sont désormais les dépositaires du «brevet».

L’éviction du «second » est donc bien en ce sens un «hommage» du groupe à l’adresse du fondateur. Son éviction atteste de la puissance du premier : le successeur ne peut soutenir la comparaison avec le pouvoir créatif du fondateur. Il témoigne en sa présence de sa petitesse, de sa limitation, de sa castration ; soit de cela même dont le fondateur-charismatique avait réussi à préserver le groupe, maintenant en sa présence une illusion de complétude. Dans le temps du départ le groupe ne veut rien savoir de la limite. Accepter un «second» constituerait le témoignage de la sortie de l’idéalisation et de l’aliénation qu’elle suppose. Un tel mouvement résonnerait alors comme une trahison, un meurtre de l’âme du père. Le groupe refuse donc, en l’excluant le «second», d’entrer dans une position dépressive, seule à même de faire pièce à la violence meurtrière qui fait d’autant plus rage qu’elle ne veut rien savoir de la perte de son objet. Accepter un mouvement dépressif apparaîtrait alors comme le témoignage de la confrontation par chacun de sa propre finitude, et un renoncement à la position glorieuse de leur participation au «Grand OEuvre». Au travers d’un «directeur-second» l’oeuvre revêt l’apparence d’une oeuvre parmi d’autres, et de cela il ne saurait être question. La disqualification meurtrière tente du moins d’en retarder l’échéance.

Notes
509.

René Kaës (1999 c), Une conception psychanalytique de l’institution - in Revue de Psychothérapie psychanalytique de groupe, 1999.1 n°32, Groupe et institution, Erès, p. 16. Le passage en italique est souligné par l’auteur.