C.7.1.2 «Du passé faisons table rase !»

Ce qu’énonce ce directeur, cette volonté de refaire le monde : «du passé faisons table rase», s’entend couramment dans la bouche de tous ces directeurs qui se trouvent assignés (et qui prétendent) à réformer les institutions. Celles-ci sont alors immédiatement diagnostiquées et considérées comme vieillissantes ou moribondes. La menace de fermeture ou de déclassement de l’institution une fois énoncée, sa re-fondation s’impose comme indispensable, et le tyran peut se grimer en sauveur magnanime. L’alibi posé, il ne reste plus qu’à tuer les pères et à disqualifier l’ensemble du personnel qui n’a pas eu la correction de les attendre pour exister et savoir comment travailler.

Lors de ces arrivées de jeunes (et parfois moins jeunes) directeurs qui se vivent comme de «nouveaux conquérants», il est presque banal d’assister à une hémorragie du personnel, et en tout premier lieu, du personnel d’encadrement et du personnel de direction. Parfois ces dirigeants arrivent avec leurs corps d’élite, ou font rapidement appel à leurs anciens collaborateurs (directeur des ressources humaines, directeur des services de la comptabilité, directeur des services de soins infirmiers, ...). Ils font alors main basse sur l’institution, se mettent en position d’en verrouiller toutes les instances décisionnaires et les instances de contrôle. L’institution est alors leur possession, et se doit d’être toute disponible à leur jouissance.

Dans ces équipes de directions renouvelées, de facto il n’est plus de témoin du passé. Une nouvelle temporalité est proposée : le temps doit dès lors être pensé à partir de l’arrivée du «réformateur».

Le révolutionnaire a donc une manière bien à lui de dérober le temps. Procédant à un nouvel ordonnancement de la temporalité, il remet les horloges (et le calendrier) en route à partir de lui. Il lui faut alors effacer tout ce qui constitue la marque des générations précédentes. Il rejoue dans son microcosme ce que l’histoire nous a appris de ces rapts du temps et des terreurs qu’elles accomplissent pour parfaire la mise en place du «bien commun» (N. Zaltzman) contre une économie de la jouissance telle qu’elle était antérieurement distribuée. Le rêve de l’instauration de l’ère du bonheur pour tous, d’une fraternité sans pères, commence par la liquidation de tous les opposants susceptibles de rappeler la cause du sujet singulier («le bien privé») et se poursuit au fil des «purges» avec la mise en place d’un nouveau tyran, détruisant toutes traces de l’histoire antérieure et des filiations, et des liaisons qui s’y tramaient.