C.7.2 Le révolutionnaire et l’arbitraire : «Je ne veux voir qu’une seule tête !»

À l’occasion de nos interventions de clinique institutionnelle, il nous a été donné de voir de plus près les effets de ces révolutionnaires zélés dans les groupes qui se retrouvent sous la coupe de ces petits despotes. Une intervention a ainsi été mise en place auprès d’un groupe de professionnels exerçant dans un Centre Médico-Social afin précisément de tempérer les affrontements passionnels qui avaient cours au sein de ce service ; ceci, suite à l’arrivée d’un réformateur fraîchement émoulu de son école de cadres administratifs, assuré de ses choix et de ses alliances politiques.

Les travailleurs sociaux de ce service venaient de subir une restructuration, ayant eu pour visée clairement énoncée de «casser les différences». Ces professionnels seront ainsi taxés de travailleurs indépendants, et le nouveau directeur de vouloir «remettre au pli» ces salariés de la fonction publique qui jouent aux libéraux. Ce que nous avons vu en acte de la dynamique de «casse» au «Foyer La Rivière», se rejouera ici avec un nouvel arrivant et constituera sa politique à l’égard des professionnels. D’une équipe pluri-professionnelle composée de médecins, sage-femmes, puéricultrices, psychologues, éducateurs, infirmiers, assistants sociaux, de tous les personnels, il a été exigé un même travail, tous devaient se mettre à exercer certaines mesures de prises en charge auprès de «usager» sous le diktat : «Je ne veux voir qu’une seule tête !».

On retrouve ici les outils de la casse que l’on a déjà vu à l’oeuvre dont le principal en est la disqualification distribuée en abondance : «‘Avant il ne se faisait que de la «merde» !». «Il faut arrêter avec le travail social libéral.» «Les gens ici ne sont pas bons’». Cette équipe basculera brutalement dans un climat de suspicion généralisée. Chacun s’efforçant dans la tourmente de tirer la couverture à lui, et reprochant à l’autre sa réaction face à ces négations des différences et de l’histoire singulière de ces pratiques en ce coin du département, qui venaient mettre à mal les rôles et les places de chacun. On retrouve à nouveau dans cette configuration la mise en place d’un clivage, selon une ligne de faille où il est de fait aisé de le faire advenir, soit entre les «anciens» et les «nouveaux». Ces derniers ont alors mission, au travers de leur recrutement d’amener la «bonne parole», et de défendre le «bien fondé» des nouvelles prises en charge.

Le conflit flambera donc entre les anciennes et les nouvelles. Les anciennes reprochant aux nouvelles de se couler dans la demande des instances (sans position critique), ces instances qu’elles éprouvaient précisément comme les mettant à mal, comme leur faisant violence. Les «nouvelles» sont alors utilisées par les «révolutionnaires» comme «fer de lance» du changement visé. Les «nouvelles» elles reprochaient aux «anciennes» de se cramponner à leur passé, à une organisation «caduque», et de «résister aux changements».

Témoignage des abus de pouvoir du révolutionnaire dans son costume de tyran : il sera tout bonnement interdit aux différents professionnels de se réunir au sein de leurs corps professionnels - nombreuses ayant été les personnes mises en demeure de «se taire ou de partir» (parmi celles pouvant avoir quelque poids dans la dynamique d’équipe, et les mises en place de contre-pouvoirs éventuels). On a ainsi assisté à la mise en place du règne de l’arbitraire.

Les nominations professionnelles entraînant les dynamiques de dettes et de fidélités, cette équipe se retrouvera vivre un climat paranogène, et un véritable morcellement, avec la mise en place de boucs émissaires tournants. Les anciennes solidarités établies à partir des différences de place et de fonction, se transformeront dès lors en disqualifications permanentes et en replis corporatistes. À défaut d’avoir accompli son oeuvre de «rénovation» le tyran -révolutionnaire avait agi la jouissance de la «casse». Dans de tels contextes, ainsi que le pointe J. Hassoun, les identifications se transforment en lutte pour l’identité, et la passion envahit la scène.

‘«Le sujet est impliqué dans un ensemble de fidélités, qui mises à mal par l’autre, l’obligent à se retourner vers ses propres identifications. (...) Les phénomènes d’identifications ne relèvent de l’identité qu’en temps de crise, de vacillement des repères ou d’irruption de la barbarie et de l’affect ou de la passion, sur la scène du politique.» (J. Hassoun520 1994).’
Notes
520.

Jacques Hassoun (1994 a), Le sujet, entre appartenance et différence - Revue Turbulence, L’autre N° 1, Éditions du Serpaton, p. 55.