C.7.4.1 L’idéologie du dépassement

Ce directeur va promouvoir dans l’institut une véritable «idéologie du «dépassement». Il prétend permettre aux étudiant(e)s de se révéler en se dépassant, d’aller au bout de leurs limites, de se découvrir 534.

‘«La jouissance serait ce point de contact total entre Éros et Thanatos, quand toute prohibition du toucher se trouve abolie.» (N. Zaltzman 2001535).’

Dans le temps où ce directeur sera malmené dans sa fonction (suite à une expérience collective de randonnée536), il y aura ainsi plusieurs étudiant(e)s pour témoigner en sa faveur, et valider la puissance initiatique du trajet formatif proposé par cet homme.

Ainsi dans cet institut et sous la férule de Monsieur «C» il était de coutume de réaliser à chacune des promotions une aventure de type randonnée en ski de fond. La dernière en date avait tourné au fiasco. On peut au reste tenir cet épisode comme déclencheur de la «mise en crise». Cette situation aura un effet d’alerte pour le Conseil d’Administration qui jusqu’à ce que cet épisode concernant l’institut (et son image) soit porté sur la place publique par les journaux locaux se contentait de sommeiller. Elle constituera la composante centrale de la première séance de travail «institutionnel». C’est à partir du comportement du directeur durant cette aventure que les enseignants commenceront à lui demander de justifier ses actes. Ce sera donc à partir des attaques portant sur un épisode collectif que la parole et la pensée groupale commenceront à se déployer. Le comportement sexuel de ce directeur envers les étudiantes, ne sera confronté qu’à partir de la séance suivante.

Pour camper le décor et pour témoigner de l’ambiance qui avait présidée à cette expédition, l’une des enseignantes récemment arrivée, relatera comment malgré le fait qu’elle était loin d’être inexpérimentée en matière de montagne, elle se trouvera anticiper cette aventure de ski sur un mode très anxiogène. Au cours de la semaine précédant «l’expédition», différentes étudiantes viendront trouver cette formatrice pour donner à entendre l’angoisse dont elles étaient envahies, au vu de cette échéance, et nombre d’entre elles se feront «porter pâles». Lors de la narration de cet épisode, il sera souligné comment les étudiants avaient eu à gagner eux-même l’argent nécessaire au montage de l’expédition, mettant en place une «spirale de l’engagement».

Sous l’autorité de Monsieur «C», le groupe partira par une après-midi d’hiver, malgré une importante chute de neige, sans que, au vu des conditions climatiques les appels à différer le départ aient pu être entendus. À la tombée de la nuit ce seront les secours de montagne qui viendront à la rescousse de deux des trois sous-groupes perdus dans la neige, et incapables de rejoindre leur lieu de bivouac. Suite à deux appels téléphoniques non concertés, celui d’un étudiant et de celui d’une enseignante, pas moins de sept héliportages seront nécessaires à la mise en sécurité des étudiants en détresse. L’enseignante avait alors affaire à des étudiantes épuisées, qui incapables d’avancer déchausseront leurs skis et se retrouveront plongées jusqu’à la taille dans un mètre de neige fraîche. S’ensuivront des crises de panique de certaines filles, et la nuit tombant, deux des sous-groupes se retrouveront submergés par l’angoisse.

La demande d’intervention institutionnelle sera activée peu de temps après cet épisode, et l’intervention elle-même débutera quelque trois mois après ces évènements. Le groupe d’enseignants n’avait, entre-temps, jamais reparlé collectivement de ces évènements, et le directeur ignorait le double appel à l’adresse des secours en montagne, et donc le positionnement de l’enseignante à cette occasion.

Au cours du travail institutionnel, Monsieur «C» aura à faire face aux questions des enseignants et à répondre de son attitude au cours de l’équipée à ski ; il revendiquera «avoir eu la situation en main». Lui «savait où ils étaient !». «Ils n’étaient pas perdus !». Il critiquera sévèrement les étudiants qui ont téléphoné aux secours en montagne, et qui ont donc fait «capoter» l’entreprise, tout en butant sur la question : «Pourquoi les élèves n’ont-ils pas fait appel à lui ?» La réponse sera alors fournie par une enseignante : «Les élèves savaient que tu dirais «Non» pour les secours !».

Lors d’un périple hivernal analogue, l’année précédente, avait eu lieu une intervention des secouristes (quoique d’importance bien moindre). Côté anxiété, le climat groupal était donc largement «préparé». La réitération de l’expérience dans des conditions extrêmes peut ainsi être entendue comme la mise en acte du symptôme dans lequel l’institution se trouvait engluée. Dans une telle configuration la pensée est mise hors jeu, et le mouvement opératoire «jusqu’au boutiste» tente alors de masquer la dynamique psychique institutionnelle en cours et les souffrances corrélées. «Les choses se faisaient et ont été reconduites».

Cet épisode de la vie de l’institution apparaît dans l’après-coup comme une magistrale mise en scène du nouage contractuel proposé par Monsieur «C» : il «pousse à l’extrême» dans le même temps où il place l’autre dans la position de devoir «s’accrocher» à lui. On est donc là face à un véritable «forçage identificatoire», qui n’est pas sans échos avec la figure de «l’otage» et sa «modalité de liaison paradoxale dominée par le couplage séduction/aliénation » (P. Roman 2002537).

Relire rétrospectivement les séances introductives de ce type d’intervention permet d’entendre les analogies et les métaphores sous lesquelles viennent se donner à lire et simultanément se voiler les souffrances groupales. C’est la plupart du temps au travers d’un discours de la plainte538 que les symptômes sont proposés à la sagacité de l’intervenant. Les énoncés témoignaient ici superbement de la thématique à l’oeuvre. Ainsi la plainte centrale que le groupe fera entendre lors de la première intervention portait sur «l’accès à l’institut». Ce directeur avait en effet fait changer l’ensemble des serrures des portes d’accès à l’institut, refusant (sous de multiples alibis) de «délivrer» les clefs aux enseignants. Seules les secrétaires avaient droit d’ouvrir et de fermer le bâtiment hors de la présence de Monsieur «C».

Il semble difficile de trouver une illustration plus explicite du verrouillage et de la dépossession agie par ce directeur à l’endroit des enseignants. Cet institut est son royaume, et lorsque cet élément est mis en regard de ce qui s’apparente à un «droit de cuissage», il deviendra clair qu’interdire l’accès aux enseignants en dehors des heures de bureau, relevait d’une commodité des plus triviales.

L’intempérance du directeur trouvera à se mettre en mots à partir de la deuxième séance, et dès que ces comportements seront «officialisés» [il y avait bien eu quelque «fumée»], les administrateurs gestionnaires de l’association, prononceront une mise à pied immédiate. De tels agirs institutionnels ne trouvent leur statut de réalité que dans la reconnaissance formelle qu’entraîne leur énoncé dans un cadre ayant fonction instituante.

À la suite de la séance qui verra la levée du «pseudo-secret », une élève viendra officiellement se plaindre auprès d’une enseignante du comportement de Monsieur «C», témoignant ainsi de la capacité groupale des enseignants à entendre ce qui jusque-là faisait l’objet d’une surdité sélective de la part des anciens, tout autant que des membres du bureau du C.A.

Notes
534.

La polysémie convoquée au travers du : «se découvrir», témoigne tout autant des mouvements de connaissance et de découverte que d’exhibition - par où s’entendent les renversements toujours potentiels.

535.

Nathalie Zaltzman (2001), L’incestenotion inceste notion inceste notion inceste notion inceste notion inceste notion inceste notion inceste notion inceste est-il une notion psychanalytique ? - in André J. (sous la direction de), Incestes, Paris, Puf, p. 69. Le passage en italique est souligné par l’auteur.

536.

Relatée ci-après.

537.

Pascal Roman fait de la figure de «l’otage», un des modes de «suture» de la violence en institution, caractérisée par «une modalité de liaison paradoxale dominée par le couplage séductionnotion séduction notion séduction notion séduction notion séduction notion séduction notion séduction notion séduction notion séduction /aliénationnotion aliénation notion aliénation notion aliénation notion aliénation notion aliénation notion aliénation notion aliénation notion aliénation «. (2002), La figure de l’otage : les organisateurs inconscients de la violence en institution - in Revue de Psychothérapie psychanalytique de groupe, n°38, Erès, p.18.

538.

Explorant la dimension de la plainte dans la clinique individuelle, Benjamin Jacobi (1998) souligne ce double mouvement où dans la plainte («se plaindre de» et «se plaindre à») le sujet vient simultanément dire et méconnaître sa souffrance (Les mots et la plainte - Érès, Ramonville St Agne).