C.8.1.1 L’accompagnement d’une institution dans un temps de remaniement structural

Il nous a été donné d’accompagner une petite institution dans un temps où elle se trouvait aux prises avec un projet d’agrandissement tout à fait conséquent. Il s’agissait alors de doubler la capacité d’accueil existante. Les projets d’agrandissement et la construction de ce qui était présenté et désigné comme une deuxième maison, se trouvaient alors en attente d’agréments du côté des tutelles.

Cette mutation mobilisant de très fortes anxiétés et de l’angoisse, a justifié un travail institutionnel d’accompagnement. On se trouvait ainsi dans un temps «de réflexion, autour de la transmission ». Sous l’impulsion du directeur-fondateur, le groupe des professionnels a souhaité réfléchir à ce qui constituait la singularité du lieu, à ce qui spécifiait la prise en charge des enfants et des préadolescents accueillis. Le doublement de la capacité d’accueil supposait l’embauche de personnel en nombre équivalent (voire légèrement supérieur) au nombre des professionnels qui composaient l’institution, à ce moment là.

Cette institution «Les Terrasses» accueille une population d’enfants et des préadolescents présentant des «troubles graves de la personnalité» et, pour une majorité d’entre eux des troubles psychotiques. La prise en charge y est fortement individualisée, bien que la structure se place dans un héritage communautariste. Dans l’esprit du directeur-fondateur, les professionnels en poste avaient à s’approprier «quelque chose» du projet qui identifie l’institution des Terrasses, de manière à anticiper l’ouverture de la deuxième maison, et à se retrouver à même d’assurer la transmission de «l’esprit maison», de ce «savoir être» et de ce «savoir faire» particulier, censé les caractériser. Ce déploiement de l’institution fit alors redouter une rupture catastrophique dans la continuité temporelle et dans les modes de prise en charge des enfants. Apparut alors la crainte d’un effondrement des repères identitaires en une contamination de l’institution par son «objet» (R. Kaës 1987, P. Fustier 1987, J.P. Pinel 1996, B. Duez 1996, 1998), dans une analogie entre les mouvements psychiques qui affectent l’institution et les avatars du processus identificatoire avec lesquels se débattent les enfants accueillis.

‘«Les institutions s’organisent le plus souvent à leur insu sur le modèle des pathologies qu’elles prennent en charge. (...) Il existe une identification nécessaire au patient qui permet qu’on le prenne en charge (...). Il existe une identification «projective» au patient qui a pour fonction de permettre au soignant de faire l’économie du conflit psychique et de l’affrontement avec la folie du semblable. Le patient devient alors le maître inconscient de la figuration institutionnelle. L’institution devient dépendante du patient dans les modes de figurations qu’elle instaure.» (B. Duez 1998544).’

Au vu de la taille du projet : doublement des capacités de la structure initiale, on se plaçait alors dans un temps qui venait faire directement écho à la fondation et réveiller la conflictualité déniée, la négativité enfouie. Si toute institution se bâtit aussi «contre» (contre une autre manière de prendre en charge une population d’«usagers» P. Fustier 1987, 1999), la réorganisation éveille l’anxiété que les nouveaux venus ne se placent à leur tour dans la rupture ; soit au niveau du scénario fantasmatique, à l’endroit où le groupe fondateur s’est lui-même situé de façon fantasmatique lors du mouvement de la fondation (datant ici des années soixante-dix).

Dans cette situation il s’agit de changements structuraux, qui affectent une institution, hors période de la fondation. Au travers d’une telle dynamique nous allons retrouver nombre de modalités analogues à celles qui ont cours lors des «changements généalogiques». De telles situations permettent ainsi d’affiner les propos énoncés autour des dynamiques de passages généalogiques, pour les étendre à un ensemble de changements structuraux.

Tout changement structural induit au sein de l’institution des dynamiques paradoxales. Les fantasmes de création, de régénération se trouvent convoqués, conjointement avec la nécessité de mise en continuité du nouveau avec l’idéal fondateur, de manière à ce qu’il ne déroge pas aux pactes existants. Lors de ces temps de réaménagement, la «tentation» de l’écrasement de la temporalité, sous la modalité de la «tabula rasa», se font prégnantes, et potentialisent des agirs d’emprise aliénants et destructeurs, à l’instar des changements générationnels.

Le regard sur cette institution permet de mesurer une nouvelle fois l’importance des dépôts muets, de la stabilité et de la sécurité requis par les professionnels, qui se trouvent aux prises avec d’importants troubles psychiques, comme c’est ici le cas avec la prise en charge d’enfants et d’adolescents présentant des troubles psychotiques.

Notes
544.

Bernard Duez (1998 b), Préliminaires à la construction d’un dispositif psychanalytique dans une institution - in Revue Psychanalytique de groupe n° 29, Éditions Érès, p. 32.