C.9 Le «scénario matriciel » et le méta-organisateur oedipien

C.9.1 Corrélations entre différentes scènes institutionnelles

À suivre la diachronie d’une institution on rencontre des alternances de phases. Il est des «temps» où règne un certain équilibre pulsionnel ; les contrats de confiance prévalent alors sur les «pactes narcissiques» au sein des groupes, ainsi qu’entre les différents groupes et les représentants de l’institution ; la liaison entre Éros et Thanatos est alors suffisamment stable et permet un jeu des différences, dans une mise en acte suffisamment tempérée de la violence - elle emprunte alors les voies d’une conflictualité ritualisée -. Durant ces «temps», la professionnalité et la pensée parviennent à se régénérer, à trouver des espaces où se déployer ; les refoulés fondateurs, les pactes dénégatifs et les contrats narcissiques remplissent leurs offices. L’arrimage symbolique qui se trame via les représentants oedipiens autorise alors une centration sur les différents «usagers».

Mais ces «temps» ne durent pas ; le dispositif se trouve immanquablement attaqué, les dépôts délogés, les pactes dérangés. L’ensemble des évolutions sociales vient retentir à l’intérieur des institutions, sous la forme de contraintes organisationnelles, et y porter la crise560. Toute évolution importante de la structure et/ou de l’organisation est inductrice de mise en crise (dans le sens que René Kaës confère à ce terme).

‘«La crise est le dérèglement dans les articulations des éléments d’un ensemble ou dans les rapports entre plusieurs ensembles : ce qui était articulé, passage, réduction d’antagonisme (...), cela désormais est séparé, opposé, désorganisé. C’est exactement là l’essence de la crise : disjonction, distinction, séparation.» (R. Kaës 1994561).’

Le tricotage pulsionnel n’est assuré que pour autant que le cadre soit «suffisamment» silencieux, que du «non-processus» autorise les «dépôts syncrétiques» (J. Bleger), que les repères identificatoires individuels et groupaux ne soient pas délogés trop brutalement, et ne viennent détruire les équilibres qu’ils maintenaient, au niveau des psychés groupales et individuelles. À l’occasion des transformations de la structure, les refoulés fondateurs du lien et la violence inhérente aux pratiques (du soin et du travail social) et à la fréquentation de l’archaïque, se mettent alors au service de la déliaison dans l’attaque des liens, «séparant, opposant, désorganisant562«.

Afin de clarifier au mieux la manière dont opèrent ces désorganisations, nous allons poursuivre l’investigation de ces organisations psychiques institutionnelles et groupales qui permettent que l’investissement des différents «usagers» demeure possible, malgré l’ensemble des éléments qui s’y oppose. Nous allons donc observer les corrélations entre fantasme, imago et méta-organisateur oedipien ; soit donc entre le registre de la jouissance, celui des identifications imaginaires et celui de l’arrimage du côté du garant symbolique de la différence et de l’interdit. Pour ce faire, nous allons nous ancrer à une situation clinique, qui permettra de clarifier ces nouages entre les registres, à partir du travail spécifique qu’elle a convoqué.

Notes
560.

Citons pour exemple la récente conjoncture de la modification de la législation du travail et de la mise en place actuelle des 35 heures, qui oblige à une mise à plat de l’ensemble de l’organisation du travail. La renégociation des contrats sur le plan législatif et celle de l’ensemble de la distribution des tâches au niveau organisationnel, bouleverse l’ensemble des pactes et des dépôts silencieux, requis par la vie psychique institutionnelle.

561.

René Kaës (1994), La parole et le lien - Paris, Dunod, p. 235.

562.

Ainsi que René Kaës le spécifie.