C.9.2 D’une scène l’autre - «Le Foyer Les Collines»

Au cours des chapitres précédents le lecteur a déjà rencontré l’institution que nous allons donc considérer à présent. Il s’agit de ce centre d’hébergement que nous avons désigné sous le nom du «Foyer Les Collines», et où ont eu lieu «les trois sidérations». Au travers de ce travail le lecteur a donc eu accès à une représentation de la tâche primaire de cette institution, et a pu entrevoir les fantasmes et les imagos avec lesquels cette institution s’efforce de composer. Il s’agit de cette structure d’accueil pour des femmes seules ou avec enfants, victimes de violences conjugales, offrant des durées de séjour limitées à trois mois.

Au moment où cette équipe s’est mise en quête d’un nouvel intervenant susceptible d’animer un groupe «d’analyse de la pratique », des perspectives de restructurations de cette institution se dessinaient, et des menaces de licenciements «planaient» dans l’association. Aussi, lors des rencontres préalables à l’intervention, la demande de ce groupe fut-elle double : que le travail régulier procède d’une centration sur le lien aux personnes accueillies, et que lorsque cela se révèlerait nécessaire, la dimension institutionnelle puisse être considérée.

Au vu du contexte l’intervenant (que nous étions alors potentiellement) accepta le contrat, en proposant que, si nous nous trouvions aux prises avec des problématiques institutionnelles qui le nécessitaient, il soit possible de solliciter la présence du directeur et de la chef de service éducatif ; ceci de manière à ce que le cadre de travail autorise le traitement des questions et des dynamiques rencontrées. Les deux personnes de la direction, et l’équipe acceptèrent cette définition du cadre de travail563.

Après une année de fonctionnement, à l’occasion d’un temps de bilan avec cette équipe et en présence du directeur, force fut de constater que la modification du dispositif et la sollicitation des membres de la direction n’avait pas été requise. Le groupe était donc parvenu à se centrer sur sa tâche primaire, sans que les angoisses concernant leur propre devenir et celui de l’association, ne viennent emboliser cet investissement. Il n’y eut donc pas lieu de recourir à un remaniement du dispositif. La configuration groupale réunissant les professionnelles accueillantes, et l’intervenant psychiste s’était donc révélée suffisante.

Prenons soin de préciser dès à présent, que le directeur avait tout de même été convoqué par le groupe, dans la réalité (pour une intervention auprès du mari de l’une des personnes accueillies). Cette convocation et la réponse obtenue ont réussi à produire la réassurance que ce groupe attendait : la métaphore fut opérante. Cet épisode de la vie institutionnelle a constitué un appel, au méta-organisateur oedipien, et c’est à partir de cet ancrage que la scène institutionnelle est parvenue à retrouver une «certaine» quiétude.

Cet incident que nous allons reprendre et déployer, permet de mettre à jour le nouage entre le méta-organisateur oedipien et la tâche primaire de l’institution. Cet incident et son contexte permettent de souligner l’importance dans la dynamique et l’économie psychique des groupes institutionnels de ce mouvement que nous avons spécifié comme l’appel à ce qu’il y ait « du père » ; le groupe était alors dans la nécessité d’entendre cette réassurance à savoir que quelque chose «échappe». La situation d’un foyer composé de professionnelles femmes, s’occupant de femmes («victimes» de la violence des hommes), et d’un seul homme en position de directeur, permet dans le grossissement du trait d’exemplifier ce qui se joue ailleurs de façon moins distincte.

Dans la sollicitation d’une intervention de ce directeur, il s’agissait pour les professionnelles du «Foyer Les Collines» de s’assurer que l’institution n’allait pas être dévorée par ses propres fantasmes, et qu’il en était «un» en place de rappeler la différence, et d’interdire la confusion. Les désorganisations induites par les changements structuraux, et les menaces de licenciements, avaient fait écho pour les accueillantes, par trop directement aux dynamiques d’exclusion et de violence des femmes accueillies, et avaient en cela entraîné une dé-différenciation confusionnante. La reprise et l’interprétation des incidences dynamiques des évènements joués sur la scène du quotidien institutionnel a donc permis d’établir des pontages, entre la mise en scène des accueillantes (dans laquelle le directeur avait été appelé à témoigner qu’il était à même de tenir sa place) dans une mise en représentation seconde du jeu groupal au sein d’un espace d’élaboration, autorisant en cela des effets d’appropriation.

La configuration rencontrée dans cette institution et le double versant explicite de sa demande témoignent ouvertement de l’intrication des deux niveaux de travail psychique au sein des institutions et de la modalité de liaison requise pour que la tâche primaire continue d’être réalisée. Toute institution se doit mener un double travail d’investissement (ainsi que l’avons précédemment évoqué) : celui qui concerne le lien d’investissement entre les professionnelles et les différents «usagers»’, et celui entre les professionnels et la structure, spécifiquement ce lien qui relie les professionnels aux instances dirigeantes.

Ce qui est flagrant avec cette intervention, c’est l’économie pulsionnelle et sa distribution entre les scènes, le tissage qui s’opère entre les deux registres. Les évènements qui se déroulent sur la scène «accueillants - accueillis», se mettent en résonance «sympathique» avec ceux qui se jouent sur la scène de l’organisation structurale, en ses processus - à l’identique de ce qui opère pour les instruments à cordes dont un accordage précis amène d’autres instruments à vibrer lorsque l’un d’eux est «joué».

La clinique nous renvoie sans cesse au constat que l’une des composantes majeures du travail psychique consiste à élaborer des écarts et à établir une toujours fragile alliance dans la différence entre accueillants et accueillis, et simultanément une alliance dans la différence entre professionnels et direction, représentant la structure, et convoquant «du père ». Cette convocation constitue un appel maintenu à la différence via l’instance qui la présentifie.

Notes
563.

Ce contrat relevait donc de l’exception. Les interventions sont habituellement clairement définies sur le registre d»Analyse de pratique» ou sur celui de «l’écoute institutionnelle». Ainsi que J. Bleger le souligne, c’est dans les temps de ruptures dans le cadrenotion cadre notion cadre notion cadre notion cadre notion cadre notion cadre notion cadre notion cadre que les parties habituellement silencieuses, ou masquées se font plus aisément pressentir, voire se révèlent. Ce sont ici les transformations du cadre interne de l’intervenant, celui qui lui sert habituellement d’assise lors des rencontres et des confrontations avec les différents groupes et les différents institutions, qui s’est trouvé dérangé et a permis un déplacement de l’axe de l’écoute.