C.9.2.1 Migrations entre les scènes institutionnelles

On assiste ainsi à des déplacements de scènes ; chacun des niveaux se présente comme une actualisation - et donc comme une nouvelle opportunité de traitement - de ce qui n’a pas trouvé à se lier et à se signifier sur l’autre. Ces mouvements de «migration» des éléments déliés, non-liés, ont été soulignés par différents auteurs ayant oeuvré à penser ces configurations institutionnelles. Différentes hypothèses proposées dans ce sens par R. Kaës, B. Duez, et R. Roussillon nous paraissent dessiner une perspective similaire, à partir d’angles de vue et de terminologies quelque peu différents.

Dans la perspective de ces articulations entre les scènes, R. Kaës propose pour sa part de considérer que :

‘«Ce qui ne parvient pas à être signifié / interprété / symbolisé du désordre psychique, dans la relation entre les sujets d’une institution, dans les relations de chacun d’entre eux avec l’ensemble et ses représentants, revient dans l’institution sur une scène où se lient d’une manière intriquée et confusionnante la réalité psychique et d’autres ordres de la réalité.» (R. Kaës 1996564).’

Ces propositions entrent en résonance avec la situation que nous considérons, et donnent à entendre ces «inextricables» qui vont se mettre en place dans l’organisation des institutions à partir de ces intrications des divers «ordres de réalité».

Lors des périodes de turbulences et de déstabilisation ces intrications peuvent donner lieu à d’importants mouvements d’évitements. En quelque lieu que soit portée la tentative d’éclairage, et par quelque acteur que cela soit tenté, les professionnels ont la possibilité constante de disqualifier la non-pertinence du propos sous le prétexte, que «les choses sont bien plus compliquées que ça !». Lors de l’intervention au titre de «l’analyse de la pratique » ou à celui de «l’intervention institutionnelle», l’on voit ainsi fréquemment ces glissements de scènes, qui sont une modalité coutumière de refuser le travail, ou tout au moins de s’en défendre ; le prétexte, est alors que «ce n’est pas le type d’intervention qui correspond à la problématique rencontrée par l’institution». L’intervenant peut ainsi être acculé à occuper la position du coupable : quelle que soit la place occupée, il se retrouve coupable de ne pas être à la «bonne place». Bien entendu de tels mouvements sont de précieux indicateurs sur le degré de déstabilisation qui caractérise alors ces groupes et ces institutions et qui sont autant de recherche d’issues face à la confusion, aux morcellements ou aux clivages. L’intervenant est alors soumis à cela même qui constitue le point de butée souffrante et jouissante des professionnels.

Dans les termes de B. Duez :

‘«Les effets d’obscénité sont liés à «l’effacement» d’une figuration du ou des conflits psychiques qui fondent les institutions. Les «obscénisations» individuelles viennent se substituer à ce lien figural manquant.» (B. Duez 1996565).’

B. Duez porte ici l’accent sur le déplacement des scènes mais aussi sur ce déplacement dans la diachronie institutionnelle, depuis le temps de la fondation, et sur l’effacement, sous le primat d’une conflictualité déniée566. Le «lien figural manquant.» serait ainsi un défaut d’arrimage (une non-figuration) par où viendraient transiter les attaques de la pulsion de mort, au travers des éléments déliés.

Cette même problématique de l’intrication des scènes fait dire à R. Roussillon :

‘«Aucun système psychique ne peut, à lui seul, métaboliser le mouvement pulsionnel, le lier. C’est dans ce qui est non symbolisable pour un système, ce qui est en reste de liaison, qui représente pour un autre système une exigence de travail psychique, qui «pulse» l’autre système intrapsychique.’ ‘Une psyché à elle seule ne peut lier l’ensemble de la vie pulsionnelle, c’est pourquoi elle doit se lier aux objets. Ce qui ne peut se métaboliser dans la dialectique des pulsions intrasystémiques de la psyché va devoir trouver au-dehors, dans la relation à l’objet, une autre modalité de liaison. Ici s’ouvre le problème de l’utilisation de l’objet, c’est-à-dire celui de la manière dont l’exigence de travail imposé au psychisme par l’objet reste compatible avec la relation à l’objet. L’intrapsychique s’ouvre à l’intersubjectif.» (R. Roussillon 1999567).’

Outre la réitération de la proposition concernant les mouvements dynamiques des migrations de scènes, R. Roussillon pose les questions que tout intervenant en institution ne manque pas de rencontrer : celle de la compatibilité entre les dispositifs de traitement et la tâche primaire, et celle de la compatibilité entre le lien aux «usagers» («la relation à l’objet») et l’économie psychique des professionnels («l’utilisation de l’objet»). La réflexion sur les dispositifs d’interventions ici proposée participe de ces interrogations.

Notes
564.

René Kaës (1996 b), Souffrance et pathologie des liens institutionnels, une introduction - in Kaës R., et alii : Souffrance et psychopathologie des liens institutionnels, Paris, Dunod, p. 46-47.

565.

Bernard Duez (1996), Psychopathologie de l’originairenotion originaire notion originaire notion originaire notion originaire notion originaire notion originaire notion originaire notion originaire et traitement de la figurabilité - in Kaës R., et alii : Souffrance et psychopathologie des liens institutionnels, Paris, Dunod, p. 165.

566.

Le regard que nous portons sur la généalogienotion généalogie notion généalogie notion généalogie notion généalogie notion généalogie notion généalogie notion généalogie notion généalogie institutionnelle et sur les dynamiques meurtrières qui s’y précipitent, rejoint par un autre biais ces propositions ; soit de souligner l’importance de la diachronienotion diachronie notion diachronie notion diachronie notion diachronie notion diachronie notion diachronie notion diachronie notion diachronie , de ce qui cherche à s’y faire entendre et des effacements dont elle est immanquablement le lieu.

567.

René Roussillon (1999 b) Symboliser - in Agonie, clivagenotion clivage notion clivage notion clivage notion clivage notion clivage notion clivage notion clivage notion clivage et symbolisationnotion symbolisation notion symbolisation notion symbolisation notion symbolisation notion symbolisation notion symbolisation notion symbolisation notion symbolisation , Paris, Puf, p. 236-237.