C.9.3 Le «scénario matriciel »

Sous les termes de «scénario matriciel » nous proposons de désigner le couple constitué par le fantasme qui tient lieu d’organisateur groupal (pour un groupe professionnel, travaillant auprès d’une population donnée), et l’imago 568 dont nous postulons qu’elle constitue un pôle imaginaire identificatoire défensif, un attracteur en prise directe avec les instances où se construit l’idéal, dans une défense contre le fantasme569. Lorsque en tant qu’intervenant extérieur on rencontre une institution, on se trouve face à un jeu de voilement des fantasmes par l’imago - il s’agit pour les groupes professionnels de dissimuler les mouvements afférents aux fantasmes (à leurs propres jouissances mortifères), et en tout premier lieu ceux qui ont trait aux «fantasmes organisateurs». On a donc affaire à des jeux de masquages qui tendent à donner à voir les «bonnes intentions» (à faire entendre le discours qui en tient lieu), et qui s’offrent comme une figuration de l’imago. Ces deux aspects de la psyché groupale et institutionnelle se rencontrent donc en une configuration indissociable.

L’imago porte la marque de. Celui-ci vient se figurer en elle sous forme de «cliché statiques», de quelque trait idéalisé issu des «premières relations intersubjectives», et appartenant donc à l’un ou l’autre des personnages de «l’entourage familial 570«.

Ainsi que nous l’avons vu dans la première partie de cet écrit, c’est à partir de la recherche d’une identification imaginaire nécessaire à leur économie psychique que les professionnels viennent s’inclure dans des positions professionnelles. Les dimensions de «collage à l’idéal » et à l’imago positive qui en porte la marque, sont d’autant plus prégnantes que l’on se trouve proche des premiers temps d’existence de l’institution (d’un moment «d’illusion groupale» D. Anzieu571, «d’obsession de la plénitude» E. Enriquez572) et/ou lors des périodes régressives qui convoquent de fortes idéalisations. L’imago se situe pour partie dans une représentation préconsciente, et demeure ainsi partiellement accessible à la représentation. Ces identifications imaginaires à l’imago, recherchée par le «Je», permettent de ne rien vouloir savoir du fantasme dans la mesure où les imagos sont précisément mises au service de la méconnaissance et servent de masque à la jouissance. Elles ouvrent ainsi la voie à la charge d’excitation particulière que le «Je» vient requérir au travers de ses identifications professionnelles.

Dans sa réflexion sur le lien d’accompagnement dans le champ professionnel du soin et du travail social et sa structuration psychique, Paul Fustier (2000573) recours à ce terme d’imago, dans une désignation des représentations à valeurs identifiantes qui sont porteuses d’une part de l’idéal professionnel. Il mentionne ainsi ces représentations qui se sont fondées au fil de l’histoire de ces professions, dont l’imago bienveillante, figure bénévole et dévouée, en lien avec le passé religieux et militant de ces institutions, ces «schèmes imaginaires» (J. Laplanche et J.B. Pontalis) qui ont largement prévalu dans l’émergence de ce champ en tant que champ professionnel. Il souligne aussi à l’opposé de cette imago, cette autre, d’un froid professionnel «comptable de son temps» et de son investissement, correspondant à une tentative de professionnalisation en renversement avec «l’imago de la mère bienveillante», et sa coloration religieuse et militante. Nous soulignons en ces deux imagos leur versant défensif. En tant qu’elles participent d’un même mouvement identificatoire, elles apparaissent comme deux tentatives d’évitement de la confrontation avec les violences qui s’actualisent dans ces lieux, avec les configurations psychiques des «usagers», avec celles incluses dans les «fantasmes organisateurs» autour desquels l’institution s’est construite, et avec celles qui logent dans la psyché des professionnels individuellement.

La situation du «Foyer Les Collines» permet de percevoir cette indispensable structuration défensive et sa mise en faillite à l’occasion de la restructuration institutionnelle, ayant entraîné un débordement du fantasme - soulignons toutefois que ce mouvement de mise en faillite du «scénario matriciel » potentialise un accès à des positions plus ambivalentes, à l’identique avec l’ensemble des crises, dans leurs aspects maturatifs. Penser la dynamique des groupes professionnels en ces termes permet de suivre l’évolution de ce couple fantasme-imago, et son progressif assouplissement ou de sa rigidification idéalisante. Le travail de subjectivation groupal consiste à développer une capacité à dépasser ces identifications massives à des imagos positives, pour progressivement s’affronter au fantasme, dans la pensée et sortir de la méconnaissance que l’imago a pour fonction de maintenir. Les «usagers» ont dès lors quelques chances de ne pas être évacués ou abandonnés.

Notes
568.

Nous entendons ce terme selon la définition qu’en proposent J. Laplanche & J.B. Pontalis (1975) : L’imagonotion imago notion imago notion imago notion imago notion imago notion imago notion imago notion imago est un «prototype de personnages qui oriente électivement la façon dont un sujet appréhende autrui ; il est élaboré à partir des premières relations intersubjectives, réelles et fantasmatiques avec l’entourage familial, (...) On définit souvent l’imago comme «représentation inconsciente» ; mais il faut y voir, plutôt qu’une image, un schème imaginaire acquis, un cliché statique à travers quoi le sujet vise autrui. L’imago peut donc s’objectiver aussi bien dans des sentiments et des conduites que dans des images. (Jean Laplanche et Jean Bertrand Pontalis (1967), Vocabulaire de la psychanalyse - Paris, Puf, p. 196).

569.

La perspective de considérer l’imagonotion imago notion imago notion imago notion imago notion imago notion imago notion imago notion imago comme une instance de régulation groupale a été proposée par Didier Anzieu. «Les imagos inconscientes, de même qu’elles sont régulatrices du Moi individuel, apparaissent être aussi régulatrices d’un groupe en évolutionnotion évolution notion évolution notion évolution notion évolution notion évolution notion évolution notion évolution notion évolution . (...)

À la suite de Freud D. Anzieu souligne la «bivalence» des imagos, les renversements potentiels dans les dynamiques groupales, et l’ambivalence qui peut venir en émerger : «L’imagonotion imago notion imago notion imago notion imago notion imago notion imago notion imago notion imago qui permet au groupe de sortir de la stase de l’illusion groupale est l’imago paternelle, image ambivalente c’est-à-dire l’image inconsciente d’un père bon et aimé, ainsi que d’un père sévère et détesté.» (Didier Anzieu (1980), Le groupe et l’inconscient - Paris, Dunod, p. 186 et189).

570.

En écho à la proposition de définition qu’en ont donné J. Laplanche et J.B. Pontalis.

571.

Didier Anzieu fait de «L’imagonotion imago notion imago notion imago notion imago notion imago notion imago notion imago notion imago « le secondnotion second notion second notion second notion second notion second notion second notion second notion second organisateur psychique inconscient du groupe» ; le premier étant du «fantasme individuel» ; les «fantasmes originaires» constituent le troisième, le complexe d’OEdipenotion OEdipe notion OEdipe notion OEdipe notion OEdipe notion OEdipe notion OEdipe notion OEdipe notion OEdipe occuperait une place qu’avec R. Kaës il désigne comme celle du méta-organisateurnotion méta-organisateur notion méta-organisateur notion méta-organisateur notion méta-organisateur notion méta-organisateur notion méta-organisateur notion méta-organisateur notion méta-organisateur oedipien. Il rajoute enfin un 5ème organisateur : «l’image du corps propre et l’enveloppe psychique de l’appareil groupal» - «L’illusion groupale» étant selon lui un «contre fantasme originaire« ([1980], op. cit., p. 180-205).

572.

Eugène Enriquez met en concordance son concept d’«obsession de la plénitude» (concept qu’il a abondamment développé au cours de son travail de recherche) avec celui d’«illusion groupale», au cours de sa confrontation avec D. Anzieu de 1999. Didier Anzieu & Eugène Enriquez (1999), La rencontre du groupe - in Revue Française de Psychanalyse; 3, Tome LXIII, Groupes, p. 742.

573.

Paul Fustier définit à la suite de R. Kaës «l’organisateur psychique» comme une «formation inconsciente», et précise qu’il s’agit «par exemple d’une imagonotion imago notion imago notion imago notion imago notion imago notion imago notion imago notion imago ou d’un fantasme qui «organise» la prise en charge institutionnelle, lui donne certaines caractéristiques, la «colore» de façon particulière, l’infléchit en favorisant telle ou telle forme d’exécution des objectifs visés.» (P. Fustier [1999 a], op. cit., Paris Dunod, p. 94).