D.1.1 La tentation de l’auto-engendrement

Chaque institution au travers de sa tâche primaire se doit de concourir au processus de civilisation de la pulsion, à l’infini renouvellement de la constitution du lien social et du processus d’humanisation. Ce processus suppose un consentement du «Je» aux interdits du meurtre et de l’inceste, ces interdits fondateurs qui n’ont de cesse de devoir être reconduits, notamment en ces lieux ayant fonction instituante où l’altérité demeure éminemment fragile et menacée. Un l’ensemble de mouvement psychique tend en permanence à la réduire, à l’assimiler, à la détruire. Le retrait narcissique constitue dans ces configurations une constante menace de clôture et se génère à partir du fantasme (groupal) d’auto-engendrement - fantasme qui compose la figure même du refus.

Nous avons vu que le «Je» établit ses identifications professionnelles autour/à partir des évènements traumatiques et sidérants qui lui sont advenus, de même qu’autour et à partir des agirs transgressifs dans lesquels il s’est engagé. Ces agencements «traumatiques» font trou dans la temporalité. En un mouvement auto-identifiant le «Je» s’assimile à ses éprouvés et les configure en une nouvelle naissance⁵⁹⁴ se dés-arrimant de la chaîne des générations, et se précipitant dans la jouissance de l’errance. Ce fantasme (individuel) d’auto-engendrement porte le mouvement d’emprise à son acmé.

Tentation majeure et constante pour tout sujet et tout groupe, l’emprise se potentialise dans son lien au pouvoir et, de façon moins ostentatoire, mais tout aussi fondamentale, dans son lien avec le trauma.

Dans le contexte du soin et du travail social, placé sous le primat du traumatique et de l’archaïque, l’«ouverture», le travail de subjectivation et le travail d’historisation, sont ainsi corrélés aux modalités d’arrimages symboliques des professionnels au pôle hiérarchique (en tant que méta-organisateur oedipien, en tant que pôle est marqué des «signifiants des Noms-du-père »), et à la généalogie institutionnelle. Ce travail requiert «du père », de la génération et de l’histoire.

Si, au travers de ces organisations psychiques il est question de renoncement, celui-ci n’est nullement lié à un interdit social repérable⁵⁹⁵. Ce n’est qu’au travers des échos psychiques qu’engendre pour le «Je» son lien aux figures de l’autorité, et aux composantes groupale et institutionnelles dans leurs résonances maternelles archaïques, que les mouvements se signifient dans le registre oedipien. En ce sens le renoncement réfère donc à une auto-limitation face à un «objet» désigné à tous comme enviable et appropriable. Les mouvements de renoncements ne trouvent à se générer que de référer au «rangement généalogique» et par ce biais de référer aux arrimages symboliques où le «Je» se structure. Le consentement à ce qu’il en soit «un» qui les représente permet dès lors aux professionnels de mettre en scène leur configuration oedipienne et son possible réaménagement.

Un tel consentement suppose la contre-partie d’une prime de plaisir sous la forme d’un gain de pensée et de reconnaissance. Consentir à la génération, s’inscrire dans une «limite», permettent l’investissement de la pensée, et la mise en oeuvre d’un processus de subjectivation, là où dans le refus et une modalité d’organisation sous le primat de l’auto-engendrement, la pensée était mise au service de la jouissance.

De même, faire advenir de la pensée en commun (sur les liens et sur l’histoire) permet d’expérimenter une confrontation partagée à la limite et de construire simultanément un lien de reconnaissance. Une telle confrontation amène chacun des professionnels à revendiquer l’aide du groupe pour se dégager des confusions dans lesquelles il se retrouve emmêlé. Le temps fait alors l’objet d’un travail d’«après-coup» entraînant un véritable processus d’appropriation identifiant.