Il convient de présenter ici les particularités techniques qui président à la formation du son de la cloche. Le but de la cloche est de produire un son d’avertissement qui doit cependant être le plus en accord possible avec les goûts musicaux d’une période donnée. Cet instrument n’est donc pas considéré dès l’origine comme un véritable instrument de musique.
La gamme utilisée pour notre étude est celle qui est couramment utilisée de nos jours. Elle prend pour base le la de la quatrième octave avec une fréquence de 440Hz 5 .
La cloche est un instrument très particulier au regard des autres instruments anciens. C’est en effet de loin le plus puissant puisque le lieu d’écoute optimale des carillons harmoniques de grande dimension est généralement situé à une bonne distance du lieu de sonnerie. Prenons l’exemple du carillon du Mas-Rillier établi au sommet d’une colline (Miribel, Ain, XXe siècle) pour lequel le meilleur lieu d’écoute est le quai de la gare de Miribel, situé en contrebas à environ 2km ! Si on le compare à tous les autres instruments anciens, y compris les orgues qui ont une puissance importante, la cloche est donc le seul véritable instrument d’extérieur.
Afin de mieux évaluer cet aspect sonore, il faut rappeler brièvement ce que sont une note et un son. La note perçue à l’oreille est un assemblage de sons. Le son est en fait un ensemble de vibrations transmises à l’air par l’instrument utilisé. Cette vibration peut se définir physiquement par deux données reliées très directement entre elles : la longueur d’onde (baptisée , exprimée en m) et la fréquence (baptisée n, exprimée en Hz) qui est le nombre de vibrations par seconde. C’est cette seconde donnée égale à 1/ qui a été exploitée dans nos travaux. La différence de fréquence entre deux mêmes notes (par exemple le la) de deux octaves consécutives est un facteur 2 quel que soit le référentiel choisi (la à 435Hz ou à 440Hz par exemple). En conséquence, si le la4 a une fréquence de 440Hz, le la5 (plus aigu) a lui une fréquence de 880Hz et le la3 (plus grave), une fréquence de 220Hz. Le son de la cloche, comme celui de l’ensemble des instruments de musique, constitue un assemblage complexe de plusieurs notes harmoniques entre elles (les partiels) parmi lesquelles une est dominante. Cette dernière est donc qualifiée de principale ou majeure. Dans le cas de la cloche, cinq partiels forment le son entendu à l’oreille. On reconnaît la principale (ou note de la cloche), la tierce supérieure (trois demi-tons 6 au-dessus de la principale), la quinte supérieure (cinq demi-tons au-dessus de la principale), l’octave supérieure (ou nominale) et l’octave inférieure (ou bourdon 7 ou hum). Chacune de ces notes est émise par une partie précise de la panse de la cloche et peut donc être stimulée individuellement à l’aide d’un diapason réglé sur la fréquence adaptée (c’est-à-dire la fréquence de ce partiel).
Le hum est une note très particulière qui est très grave et dont la durée de résonance est très longue. Elle peut atteindre plusieurs minutes dans le cas de cloches de grande dimension. En effet, les dimensions de la cloche déterminent, outre la note des différents partiels, la durée du son. La note principale est émise au niveau de la pince, l’octave supérieure étant émise au niveau du cerveau. La note principale est fonction du diamètre. On constate que plus le diamètre augmente, plus la fréquence de la principale est faible et donc la note grave. Inversement, plus le diamètre est faible, plus la fréquence de la principale sera forte et donc la note sera aigüe. Le profil corrige légèrement la principale et fixe surtout les autres partiels. La masse correspond au volume de métal mis en œuvre et est elle aussi un facteur concourant à déterminer la principale émise. Un dernier élément influe sur la qualité de la note obtenue. Il s’agit de la composition exacte de l’alliage. Ce dernier élément n’est pas le plus important et il n’entre en compte que dans l’écart à la fréquence exacte. L’homogénéité de l’alliage dans les trois dimensions de l’espace reste le facteur essentiel pour obtenir une cloche pourvue de bonne qualité sonore.
n étant la fréquence de la principale, en hertz, et P la masse de la cloche en kilogrammes. La masse prise en compte inclut les anses. Pour Mersenne, le facteur z vaut 6082 selon un profil type utilisé au cours du XVIIe siècle. Les travaux d’Euler (EULER, 1750) sur les fréquences ont montré qu’elle est d’une part proportionnelle à l’épaisseur de la cloche et d’autre part, inversement proportionnelle au carré du rayon. Ces principes, comme celui de Mersenne, ne sont valables que dans le cas d’une cloche faite de métal homogène et identique dans toutes les directions de l’espace, c’est-à-dire coulée à température élevée. Ce principe est constant dans toutes les lois touchant à la physique des solides. Les lois de calcul ne s’appliquent donc que pour des cloches correctement coulées, sans défaut majeur. Cette caractéristique est sans doute celle des cloches que nous avons pu observer qui pour survivre plus de 500 ans se doivent d’être d’une très bonne qualité technique.
Pour le Moyen Age, la valeur du facteur z reste à recalculer. Les travaux de Bouasse avaient déjà montré que cette valeur peut être très fluctuante. Les quelques valeurs de z qu’il a pu calculer sont en effet situées entre 5500 environ (bourdon Emmanuel à la cathédrale Notre Dame de Paris daté de 1680) et 7520 (valeur maximale pour la Gloriosa de l’église d’Erfurt en Allemagne de 1497). On constate également grâce à ces données que les différentes valeurs de z ne sont pas liées uniquement aux dimensions. Les deux cloches citées en exemple, Emmanuel et la Gloriosa 8 , sont de grande taille (plus de deux tonnes).
Peu de calculs peuvent être faits sur les cloches que nous avons étudiées. En effet, nous ne disposons que rarement du poids des cloches. Nous pouvons citer deux exemples où le poids est connu et donc proposer deux nouvelles valeurs. Tout d’abord, la cloche de Lagnieu (01) datée de 1495, pèse environ 1900kg (la valeur enregistrée est de 2000kg environ, mais inclus le battant et le joug) et donne un do#5 à une fréquence de 560Hz. Le facteur z est alors égal à : z=6936. Le second cas est la cloche du Boulou (66), œuvre d’Hyppolite et Jacques Gil datée de 1436. Cette cloche pèse 832kg précisément puisqu’une pesée récente a été effectuée lors du retour de la cloche de Perpignan au Boulou. Elle donne un fa5 à 700Hz et le facteur z vaut donc : z=6583. Dans les deux cas, la valeur est donc nettement plus forte que celle proposée par Mersenne. Elle se trouve néanmoins dans la fourchette indiquée par Bouasse. On remarque également que les trois valeurs qui ont été calculées pour des cloches médiévales sont supérieures à 6500 et donc dans la partie supérieure de la fourchette de Bouasse. Il serait très intéressant de pouvoir calculer un grand nombre de facteur z pour suivre éventuellement une évolution. Cett évolution est cohérente avec ce que nous avons pu remarquer de l’aspect des profils que nous avons pu relever qui sont des profils plutôt légers, c’est-à-dire des profils plus fins que la normale. Ils donnent donc des notes plus aiguës pour un diamètre donné que des cloches au profil dit normal selon les normes actuelles.
Comme nous l’avons dit précédemment, une cloche émet au total cinq partiels. L’écart entre la principale et le partiel le plus élevé est d’une octave. Pour Bouasse (BOUASSE, 1927), il est un « fait assez général » : l’écart entre la principale et l’octave supérieure est légèrement supérieur à une octave exacte, alors qu’à l’inverse l’écart entre le hum et la principale est légèrement inférieur à une octave. On voit donc que si les différents partiels sont anciennement connus, ils ne sont pas maîtrisés avec précision. Les écarts par rapport à la normale mathématique exacte sont en fait un des intérêts majeurs de la pratique artisanale de la fonte des cloches. En effet, par la particularité du profil utilisé par chaque fondeur, chacun laisse une sorte de signature sonore qui fait la particularité de chaque pièce.
La maîtrise des différents partiels est essentielle pour la réalisation d’un carillon. C’est la marque de la cloche européenne. En effet, les cloches asiatiques dont les plus anciennes remontent à plus de 3000 ans ont un profil très différent des cloches européennes qui leur confère des qualités sonores très différentes. Les panses des cloches asiatiques sont en effet quasi verticales et il n’y a pas de pince. Seules deux notes sont donc émises. De plus, le son est émis par la frappe au moyen d’un battant externe de bois. La cloche asiatique est suspendue dans un bâti de bois et immobile. Les deux types de cloches sont donc des objets très différents, bien qu’étant métalliquement très proches puisque dans les deux cas on utilise un bronze de composition très voisine (GROVE, 1984).
Pour clore la présentation du son des cloches, il convient d’écrire quelques mots sur le problème de la notion de « justesse » d’une note. En effet, au cours des différentes études typologiques qui constituent les deux autres parties de ce travail, nous employons souvent le terme de « cloche juste » ou « presque juste ». Cette notion est basée sur les normes actuellement utilisées en musique occidentale, à savoir le la de référence, de la quatrième octave, qui a une fréquence de 440Hz. Il faut rappeler qu’il y a encore une dizaine d’années, deux la « s’affrontaient » : le la dit français, à 435Hz et le la dit allemand, à 440Hz. Ce dernier est celui qui est désormais utilisé. De plus, une évolution actuelle tend à vouloir encore augmenter cette fréquence de référence pour obtenir un la à 442Hz 9 . Les variations de la note de référence ne se sont pas toujours faites dans le sens d’une augmentation de la fréquence comme l’a rappelé Ivan Alexandre (ALEXANDRE, 2001) : les orgues sur lesquelles Jean-Sébastien Bach a joué à Leipzig dans la première moitié du XVIIIe siècle sont accordés sur un la extrêmement aigu à 466Hz. Il est donc probable que les fréquences de référence des instruments médiévaux étaient assez différentes des fréquences actuelles. En conséquence, la justesse d’un instrument de musique ou d’une cloche est une donnée assez subjective liée à la période à laquelle l’étude est faite.
Cette fréquence est la fréquence moyenne, le la étant reconnu comme tel dans une plage de fréquence allant de 428 à 452Hz.
Une octave est formée de douze demi-tons.
Bien que portant le même nom que la cloche de plus grande taille d’un ensemble, ces deux termes n’ont pas de rapport direct. Il faut sans doute rapprocher cette acception du terme « bourdon » de celle du bourdon de la cornemuse (ou des autres instruments à basse continu), qui est la flûte donnant la basse continue et émettant son son en continu.
Cette cloche passe pour la cloche ayant le plus beau son du monde, reconnaissable entre toutes.
Cette fréquence très élevée poserait des problèmes de résistance sur un certain nombre d’instruments anciens.