1.1.2.2 Cloches et techniques de sonnerie actuelles

Dans les techniques occidentales de sonnerie qui concernent l’Europe continentale de l’Ouest sans inclure l’Angleterre qui possède d’autres pratiques, les cloches sont généralement mises en place dans un clocher afin d’être sonnées en volée simple. La sonnerie par tintement tend néanmoins à remplacer les volées car elle nécessite un entretien moins important et permet de sonner un nombre précis de coups correspondant aux heures. Nous présentons ici les différentes techniques de volée actuellement utilisées. Toutes ne sont sans doute pas d’origine médiévale mais il est difficile de déterminer exactement l’histoire de ces techniques et les termes qui ont été anciennement utilisés pour les qualifier (cf. 3.4.3).

  • La volée lancée : il s’agit de la technique la plus simple et la plus ancienne à n’en pas douter. L’axe de balancement de l’ensemble joug-cloche se situe au-dessus de la cloche, soit au niveau des anses, soit franchement au-dessus (voir fig. 23). Dans cette technique, c’est le battant qui, ayant une plus grande vitesse de rotation en raison de sa plus faible masse, vient taper la cloche dans sa partie supérieure à l’apex de son balancement. Par sa position lors de la frappe (ouverture du vase dans un plan vertical), la cloche a ainsi un son qui se diffuse au maximum car il n’est pas émis en direction du sol et des maçonneries massives du clocher. C’est avec cette technique que l’effet Döppler est le plus important, ce qui contribue à la particularité du son.
  • La volée rétrolancée : cette technique est sans doute plus récente et permet de mettre plus aisément en volée des cloches de très grande taille, et donc de très grand poids avec un moteur de puissance limitée. En l’absence de moteur, une telle installation nécessite moins de force et donc moins de sonneurs. Ainsi, pour la très grosse cloche de Pittsburgh (Millenium Bell, pesant 33 tonnes environ) réalisée par la fonderie savoyarde Paccard en 1999, la technique de sonnerie en volée retenue est celle de la volée rétrolancée. En effet, malgré ce choix, le moteur de mise en mouvement sera l’un des plus puissants installés. L’axe de balancement est alors surbaissé et se situe à peu près à mi hauteur de la panse de la cloche. La cloche est toujours suspendue au joug qui affecte alors une forme de fer à cheval (voir fig. 23), permettant ce décalage de l’axe de rotation. Dans ce système, c’est la cloche qui a une plus grande vitesse de rotation 10 et vient au contact du battant qui est beaucoup moins mobile que dans la première technique. Ainsi, lors de la frappe, l’ouverture du vase se trouve dirigée vers le bas et limite donc la portée du son. De plus, le rythme des coups et donc des sons est plus lent que pour une volée lancée. Le son d’une telle volée est généralement plus lugubre à moins que le profil de la cloche ne soit légèrement différent de la normale et ne permette une adaptation de la sonorité.
  • La volée tournante : si les techniques présentées précédemment peuvent se rencontrer dans tous les pays européens et même au-delà, la volée tournante est très localisée dans quelques régions. On la rencontre en Midi-Pyrénées et dans toute l’Espagne, en particulier la région de Séville. Dans ce système, l’axe de rotation peut être surbaissé, comme pour la volée rétrolancée, et de plus, le joug est surmonté d’un contrepoids qui permet de mettre la cloche en rotation complète presque sans aucun effort (voir fig. 24). Ainsi, la cloche peut se trouver placée avec l’ouverture du vase dirigée vers le haut. Les sonneurs actionnent directement les cloches sans avoir recours à des cordes (voir fig. 25 et 26). La sonnerie se déroule donc en deux temps. Ils placent la cloche par de petits mouvements avec l’ouverture du vase dirigée vers le haut. Lorsque toutes les cloches sont en position, les sonneurs les poussent pour qu’elles basculent dans un sens puis se contentent d’entretenir le mouvement en poussant légèrement sur la cloche. En Espagne, à Séville, lors des célébrations pascales, se déroule la Giralda. Il s’agit d’une volée tournante où l’élan est donné par les sonneurs qui ne se contentent pas de pousser la cloche mais sautent dessus et s’y accrochent pour tourner avec elle, marquant ainsi leur force. Le rythme des battements obtenus est très particulier. Ce type de sonnerie n’est possible qu’avec certaines installations adaptées. Les fondeurs et installateurs de cloches du XIXe siècle, par exemple Louison ou Dencausse pour la région toulousaine ou tarbaise, ont donc développé des solutions originales (voir fig. 27 et 24) sous la forme de jougs spécifiques avec des contrepoids calculés et quelquefois modulables.
  • Le tintement qui est désormais très pratiqué en France se fait par l’utilisation d’un marteau externe mû par un électro-aimant ou par un système de transmission mécanique par une tringlerie lorsque les systèmes sont plus anciens. Ce marteau vient frapper la cloche sur la pince, permettant d’émettre un son au prix d’une dépense d’énergie bien moindre. Le son émis par ce type de sonnerie est beaucoup moins ample que dans le cas d’une sonnerie en volée. Lorsqu’il fait appel à un marteau extérieur, le tintement n’est pas exclusif : une cloche peut tinter les heures en restant immobile et aussi sonner à la volée lors de certaines occasions 11 . Le système de frappe peut également être différent et faire émettre à la cloche deux notes principales différentes. Il s’agit d’installations anciennes non modernisées que l’on rencontre dans le Sud de la France, en particulier dans l’Aude. Plusieurs battants intérieurs de longueurs différentes sont disposés dans la cloche, attachés à de petits câbles métalliques et situés non loin de la panse de la cloche. Par un système de tringlerie particulier, le sonneur qui devient un véritable carillonneur 12 peut ainsi actionner les différents battants. Dans ce cas, la cloche ne peut pas être mise en volée.

Pour finir avec les techniques de sonnerie, il faut ici décrire une technique « exotique » pour la France mais qui est employée en Angleterre. Il s’agit du change-ringing. Cette technique très particulière a été développée à partir de la Réforme car les cloches n’étaient plus utilisées et sont donc devenues des objets de concours entre différentes équipes de sonneurs. Le principe du change-ringing est basé sur l’alternance du tintement des différentes cloches d’un ensemble (voir fig. 33 donnant un exemple de morceau de change-ringing). Dans un premier temps, chaque sonneur actionnant une et une seule cloche, les sonneurs placent leur cloche avec l’ouverture du vase vers le haut. Puis alternativement, ils font faire un tour unique à leur cloche selon un ordre qui se modifie à chaque tour. La musique obtenue est très particulière et caractérise la sonnerie anglaise des cloches. Les sonneurs sont placés dans le clocher à quelques mètres seulement en dessous des cloches. Dasn ce cas, la cloche n’est plus du tout un instrument d’appel ou d’avertissement.

Notes
10.

L’axe de rotation du battant n’est pas changé par rapport à la technique de la volée lancée.

11.

On évitera cependant de réaliser un tintement électrique sur une cloche en volée manuelle : la non coordination des deux types de sonnerie risque en effet de provoquer des dégats très importants si le tintement se produit lors d’une sonnerie en volée.

12.

Même si le nombre de cloches est faible par rapport à la norme de la Guilde Mondiale des Carillonneurs.