1.1.3. L’installation de la cloche : réflexions sur l’état actuel des installations

1.1.3.1 La cloche dans son beffroi

Le support des cloches dans les clochers est appelé le beffroi. Il s’agit du bâti de bois à l’intérieur même du bâtiment maçonné. Pour les clochers-peignes concentrés principalement dans le Sud de la France, nous n’utilisons pas le terme de beffroi. En effet, les axes de rotation des jougs sont le plus souvent directement fixés dans la maçonnerie. Deux grands types de beffrois existent dont les beffrois de bois qui sont à la fois les plus anciens et les plus récents. Entre temps, des années 1930 à la fin des années 1970, de nombreuses installations furent refaites en utilisant des beffrois métalliques composés de profilés de dimensions beaucoup plus réduites que les poutres utilisées pour les beffrois de bois. Cette technique des beffrois métalliques a été abandonnée pour plusieurs raisons. La première est la qualité du son. En effet, l’utilisation du bois, matériau souple, amortit quelque peu l’aspect « métallique » du son brut qui apparaît donc plus doux à l’oreille. La seconde raison est un problème purement mécanique. Un beffroi métallique transmet l’intégralité des vibrations de la cloche, qui peuvent être très ou trop importantes pour la maçonnerie du clocher. Un beffroi de bois amortira quelque peu l’effet de ces vibrations, et en particulier les véritables coups de bélier envoyés par une cloche de grande taille sonnée en volée. Récemment, des beffrois métalliques ont été remplacés par des beffrois de bois pour des raisons de sécurité. Le cas du carillon de Pamiers en Ariège est extrême. Le beffroi a été mis sur des rails d’environ 50cm de long afin de limiter ces coups de bélier qui auraient interdit la mise en place de cet ensemble campanaire contemporain (carillon Paccard de 1994).

Pour les beffrois de bois, un problème apparaît. En effet, il serait intéressant de pouvoir connaître les anciens systèmes de suspension et de mise en mouvement des cloches et en fait l’architecture générale des beffrois médiévaux. Ce problème ne peut malheureusement pas être envisagé ici pour plusieurs raisons. Tout d’abord, la datation des beffrois que nous avons pu voir ne nous est pas connue : exceptionnellement, le joug peut porter une date gravée, date qui ne correspond pas nécessairement à celle de la fabrication de la cloche, et donc sa première mise en place. Il faudrait envisager un programme de datation par dendrochronologie des clochers mais plusieurs arguments montrent qu’une telle étude qui nécessiterait des moyens financiers très importants ne nous offrirait que des résultats aléatoires.

D’une part, les beffrois ont souvent été refaits à l’issue des destructions de la Révolution. De nombreux clochers de la région clunisoise et surtout bressane ont par exemple été abattus durant la période révolutionnaire et relevés au cours du XIXe siècle. De plus, la dépose généralement brutale des cloches a entraîné la destruction d’une quantité importante de beffrois. Beaucoup de beffrois datent donc sans doute du XIXe siècle.

D’autre part, même si la datation d’une des poutres fournit une date antérieure, la disposition des différents éléments ne remonte pas nécessairement à cette période. En effet, la taille des différentes poutres qui sont d’une section moyenne de 20cm de côté incite le charpentier-installateur à récupérer les poutres réutilisables. De plus, lors de l’extension d’un ensemble existant, les différentes pièces de bois peuvent être réorganisées pour permettre la mise en place des nouvelles cloches.

L’étude de la disposition des beffrois médiévaux conduirait à une meilleure compréhension des sonneries médiévales. Des recherches importantes sont actuellement en cours sur une grande échelle dans le cadre d’un programme européen conduit sous la direction de l’IEAC de l’Isle-Jourdain (Gers) sous le titre « Ingénierie du clocher » (projet IDC-MEDICI).

Les beffrois de bois se détériorent au cours du temps du fait de la dégradation du bois, matière organique putrescible. Cet effet est néanmoins très lent car tout le beffroi est normalement hors d’eau et seules quelques gouttes peuvent l’atteindre. Si le clocher n’est pas entretenu, des voies d’eau peuvent apparaître dans le toit ou la maçonnerie et donc mettre en péril la conservation du beffroi. Un autre facteur dégradant, beaucoup plus important, est la présence d’une faune que nous pourrions qualifier de « campanicole ». Il s’agit des chauves-souris, pigeons et chouettes. La première catégorie est relativement rare et n’occasionne que peu de dégâts, les communautés occupant les clochers ne comprenant qu’un nombre limité de spécimens. Pour que ces animaux s’installent dans un clocher, il faut qu’il soit propre, ce qui exclut la présence conjointe de pigeons qui sont les animaux les plus nuisibles aux clochers. Les chouettes sont également des animaux rares dans les clochers dont nous n’avons rencontré qu’un seul spécimen au cours de nos relevés. Ils sont assez « propres », seules quelques pelotes de réjection et quelques rares fientes signalant leur présence.

Par contre, les pigeons sont une véritable calamité pour les clochers. En effet, ces populations ne connaissent pas de limitations et se reproduisent très rapidement. La très grande quantité de déjections produites rend délicat l’accès à certains clochers, comme celui de Quilen (62) où le plancher est masqué par environ 30cm de fientes de pigeons. Ces masses importantes dégradent très rapidement les bois des beffrois, tant plancher que poutres, rendant la progression parfois périlleuse. Cela nuit à la fréquentation régulière du clocher pour assurer son entretien. Les pigeons doivent donc autant que possible être maintenus en dehors des clochers au moyen de grillage ou à l’aide d’autres systèmes de fermeture. L’espace nécessaire au passage d’un pigeon est très faible et ces fermetures nécessitent un contrôle fréquent. Un beffroi de bois est donc sujet à divers facteurs de dégradation qui impliquent le renouvellement de certaines pièces de bois au cours du temps.