1.2.2.3 Les représentations de cloche dans la sculpture roman : aspects philosophiques et théories musicales

De nombreux chapiteaux romans figurent des cloches ou plutôt des ensembles de clochettes. Il s’agit généralement d’un personnage (souvent féminin) représenté assis et portant sur l’épaule droite une petite planche à laquelle sont suspendues deux cloches (ou plus) sans battant. Le personnage en joue en les frappant avec un marteau. Les identifications traditionnelles tendent à assimiler ce personnage avec l’allégorie de Musica. Cette allégorie est possible et nous montre toute l’importance du son des cloches dans la musique médiévale et dans la formation de l’oreille du musicus. En effet, comme l’a montré M. Close-Dehin (CLOSE-DEHIN, 1985), cet instrument est fréquemment représenté à proximité d’un monocorde (en particulier à Vézelay). Ce dernier instrument est particulièrement intéressant car sa seule fonction est l’apprentissage des intervalles qui séparent les différentes notes. Il permet donc d’apprendre l’harmonica, partie essentielle de la musica instrumentalis. Le tintinnabulum est alors une représentation de la musique théorique et le mode de sonnerie que l’on représente rappelle très directement les débuts mythiques de la théorisation de la musique. En effet, Pythagore aurait mis au point les intervalles musicaux en entendant un forgeron frapper sur une lame de fer.

En poussant la réflexion un peu plus loin, on peut penser qu’il s’agit, dans le cas de l’assemblage des chapiteaux du chœur de l’abbatiale de Cluny (présentés au Farinier de cette abbaye), d’une représentation allégorique de la musica organica, quatrième et dernière partie de la musica instrumentalis. En effet, la musique audible que représente la musica instrumentalis est sudivisée en quatre sous-parties qui sont : harmonica, metrica, rythmica et organica. La première qui correspond au monocorde que nous avons signalé précédemment s’intéresse à l’espace entre les sons. La deuxième se concentre sur l’étude du rythme verbal et la troisième s’intéresse à la réunion des musiques instrumentales et vocales. La dernière est concentrée sur l’étude des instruments proprement dits. Dans le cas de la représentation de Cluny, et compte tenu de la proximité des autres éléments (voir CLOSE-DEHIN, 1983), il est probable que cette représentation figure effectivement la musica organica. Par contre, dans la plupart des autres représentations, on assimile cette représentation à celle du quatrième ton du plain-chant (ou ton en la) qui est l’un des tons les plus importants de la musique médiévale.

Ces représentations peuvent être considérées comme divisées en deux groupes à peu près également répartis : d’une part, comme à Cluny, des programmes iconographiques bien établis et qui ont plusieurs niveaux de lecture ; d’autre part, comme sur la représentation gothique du portail de la cathédrale de Chartres, elles font partie d’un cycle présentant les arts libéraux.

Du point de vue de la forme, ces figurations ne sont pas très précises et ne peuvent que faiblement nous informer sur l’évolution des formes des cloches au cours du Moyen Age.