1.3.3.1. La composition des corpus

1.3.3.1.1 Constitution des corpus

1.3.3.1.1.1 Le corpus des cloches anciennes

Il n’était pas envisageable d’effectuer une tournée dans l’ensemble des clochers de France. Un tel travail aurait nécessité un investissement en temps démesuré au regard des données collectées. Au terme d’un principe non écrit des Monuments Historiques, toute cloche antérieure à la Révolution doit être classée. Nous avons donc basé notre corpus sur la liste des cloches classées au titre des Monuments Historiques. Cette liste nous a été communiquée par la Société Française de Campanologie 32 et est arrêtée à la date du 31 Décembre 1993. Cette liste recense toutes les cloches protégées antérieures à la Révolution et donc en particulier celles antérieures à 1500. Au total, elle regroupe actuellement près de six mille six cents cloches (six mille cinq cent quatre vingt dix précisément au 2 septembre 2000) sur un total d’environ sept mille instruments anciens. Elle n’est pas complète et près de trois cents dossiers 33 sont en attente 34 . Les données fournies par cette liste sont très rudimentaires puisqu’elle n’indique que la date ou plus souvent la date estimée et l’édifice où se trouvait l’objet au moment du classement 35 . Aucune mise à jour de cette liste n’a jamais été faite sauf ajout de nouvelles pièces classées. Ceci explique ses imperfections et en particulier la disparition de certaines cloches. En effet, les premiers classements de cloche remontent aux origines mêmes des Monuments Historiques (liste de 1840 de Mérimée pour l’ensemble de l’église Notre-Dame de Dijon) et nombreux sont ceux qui sont intervenus durant le XIXe siècle. Des destructions sont intervenues à diverses périodes. Tout d’abord, il y a eu les deux guerres mondiales ainsi que la guerre de 1870 qui furent de grandes consommatrices de cloches 36 . De nombreuses cloches furent en effet refondues, en particulier dans l’Est de la France, pour réaliser des canons 37 . Durant la seconde guerre mondiale, compte tenu des modifications des techniques de guerre, les destructions ont été nettement moins nombreuses. Les cloches ont le plus souvent été simplement déplacées. Durant cette période, les cloches classées ne pouvaient théoriquement pas être emportées. C’est pourquoi un grand nombre de classement sont intervenus sous le régime de Vichy et ont été validés à la Libération : le gouvernement de Vichy avait en effet édicté en 1943 une directive destinée à renforcer les classements. Les classements effectués alors constituent la majorité des éléments de notre corpus. Ils ne furent cependant pas tous corrects. En effet, on se mit à classer à tour de bras tout ce qui était mentionné dans une bibliographie sans se soucier si les pièces existaient encore. Il y a donc fort à penser que des cloches n’existant déjà plus furent alors classées ! A la Libération, les bombardements, en détruisant nombre de clochers, ont détruit un certain nombre de cloches anciennes.

Le second élément qui a contribué à éliminer des cloches de l’inventaire des Monuments Historiques est la refonte de certaines pièces. Une telle pratique est courante depuis plusieurs siècles et s’est poursuivie malgré les classements. Il faut attendre la fin des années 1980 pour voir la publication d’une note (et encore n’est-ce qu’une note) préconisant la réalisation d’une cloche patrimoniale 38 plutôt que la refonte de la cloche ancienne, même dans le cas où elle est fêlée. Certaines cloches très anciennes ont été refondues à une époque récente par des fondeurs indélicats. On peut citer le cas de celle de Venosc (38) qui a été refondue dans les années 1970.

Un second ensemble de données est fourni par les inventaires locaux qui ont été effectués dans certaines régions. En effet, ils fournissent parfois des données non encore intégrées à la liste générale des Monuments Historiques ou des cloches qui ont disparu depuis. Ces ouvrages sont de qualités très variables et sont inégalement représentés dans le temps. En effet, certains ont été réalisés à la fin du XIXe siècle (pour l’Isère, inventaire très complet de Vallier (VALLIER, 1895)) et d’autres à la fin de ce siècle (dernier inventaire édité : DARASSE et PIE, 2000, consacré aux cloches des carillons de la Région Languedoc-Roussillon). Citons également l’inventaire de Pierre-François Aleil et Bernard Craplet (ALEIL et CRAPLET, 1995) qui a été une base importante pour le Puy de Dôme. Même lorsqu’ils ne fournissent que très peu de renseignements (une bonne documentation ne remplace jamais la visite sur le terrain), ces ouvrages ont le mérite d’indiquer une liste des édifices à visiter.

Un troisième ensemble est constitué par les travaux en cours sur deux départements. D’une part les travaux de Thierry Buron, documentaliste de la Conservation des Antiquités et Objets d’Art du Maine et Loire, portent sur l’aspect sociologique et culturel des cloches dans ce département durant l’Ancien Régime dans le cadre d’un doctorat. L’inventaire, bien que secondaire dans le cadre de ces travaux, est assez précieux pour nous. D’autre part, les travaux de Vincent Matéos, chargé de mission du Conseil Général des Landes, qui est chargé de réaliser l’inventaire et l’étude des cloches de ce département, toutes périodes confondues.

Tous ces éléments ont permis l’établissement d’une liste d’environ cinq cent cloches, que nous avons faiblement augmenté par la découverte de quelques pièces (Géhée, 36, et Le Puy-en-Velay, 43, découverte par Bernard Galland par exemple). Une fois la liste établie, le problème majeur était l’accès à la clé qui permet la visite du clocher et donc de la cloche qui nous intéresse. La solution que nous avons privilégiée pour presque tous les départements 39 a été l’appel téléphonique à la mairie qui nous aiguillait vers la personne détenant les clés. Dans de très rares cas (Cotignac, 83), nous avons essuyé un refus non motivé. Dans quelques autres, le refus était dû à des conditions de sécurité déficientes (escalier d’accès tombé dans le cas le plus extrême à Clermont-L’Hérault, 34). Pour l’anecdote, il faut aussi signaler de rares fois où l’accès fut rendu impossible car la mairie avait égaré la clé (clocher de Cintegabelle (31))… Globalement, nous devons dire que l’accueil des personnes responsables des clés, bénévoles ou employés municipaux, a été très bon. Que toutes les personnes qui ont ainsi contribué à la réussite de notre inventaire trouvent ici l’expression de toute notre gratitude.

Lorsque nous avions obtenu les clés, dans certains cas, l’accès se révélait encore fort délicat, du fait du mauvais état de l’échelle, voire de l’absence d’échelle (cf. fig. 34) ! Certains clochers sont extrêmement dangereux et il semble donc nécessaire que les mairies aient plus à cœur l’entretien de ces édifices. En effet, même s’ils ne reçoivent que peu de visites, l’absence d’entretien de l’accès risque fort d’entraîner une absence d’entretien de l’installation qui peut conduire à la chute de la cloche avec des conséquences pouvant être graves. On peut citer le cas récent d’une cloche sonnée en volée ayant perdu son battant qui est tombé à pleine vitesse dans une station-service située à proximité.

L’accès à de nombreux clochers-peignes était impossible. Ces clochers sont très fréquents dans le Sud de la France (environ cent cinquante cloches). L’accès à de tels clochers nécessitait l’emploi d’échelles de grande taille que nous ne pouvions transporter et que nous ne pouvions pas toujours trouver sur place. Dans certains cas néanmoins, il s’est trouvé des gens dans les villages pour nous prêter des échelles alors que nous arrivions à l’improviste.

Au terme de notre inventaire, il faut donc dire que le corpus de départ d’environ cinq cent pièces (carte 1) s’est trouvé largement diminué en ce qui concerne les individus effectivement étudiés. Cette valeur s’établit à un peu plus de deux cent cinquante.

Notes
32.

S.F.C., 41 Avenue de Charlebourg, 92250 LA GARENNE COLOMBES (e-mail : campanol@easynet.net). Cette association de bénévoles a été d’une aide précieuse pour nos travaux. Elle travaille, d’une part à l’étude et la préservation des cloches anciennes par une meilleure connaissance de notre patrimoine campanaire, d’autre part à la diffusion de la campanologie afin de développer les nouvelles implantations et aider ainsi les fondeurs.

33.

Cloches pour la plupart de l’époque moderne.

34.

Information orale de Jean-Bernard Lemoine, carillonneur de la ville de Lyon.

35.

Une erreur est à mentionner : la cloche de Tarascon (13) est, selon les Monuments Historiques, située à Salon-de-Provence alors qu’elle est depuis toujours à Tarascon. Elle a été réalisée pour cette église.

36.

Les destructions imputées à ces conflits sont nettement surévaluées, en particulier pour le second car les canons de bronze n’étaient plus que rarement utilisés. Les destructions sont plutôt le fait des bombardements.

37.

Rappelons ici que très souvent durant l’Ancien Régime, les fondeurs de cloches étaient conjointement fondeurs de mortiers médicaux (par exemple, voir les fondeurs du Puy) et de canons (hors de France, c’est le cas de Vavrineck Kricka (cf. 1.2.2)). Voir également la fosse de coulée découverte à St Germain d’Auxerre (89).

38.

Une cloche patrimoniale est la reproduction d’une cloche ancienne intéressante, trop usée ou fêlée pour être encore utilisée. Cette reproduction à l’identique permet de garder la tonalité de l’ensemble campanaire (on peut éventuellement envisager de changer cette tonalité), tout en conservant la cloche ancienne qui peut être utilisée pour certaines grandes occasions. Cette solution présente l’avantage de fournir du travail au fondeur tout en conservant et préservant le patrimoine. Cette option est aidée financièrement par les Monuments Historiques.

39.

Il convient ici de remercier la conservation des antiquités et objets d’art de l’Indre qui nous a grandement facilité l’accès aux clochers intéressants de son département.