2.1.1.2.1 Les convocations aux offices

La première mention d’une cloche dans un contexte chrétien est une mention de convocation aux offices. Il s’agit d’une lettre du diacre Ferrand de Carthage à Eugippius, abbé de Lucullano près de Naples :

‘Non ipse hoc solus operaris, sed alios plurimos ad consortium boni operi vocas, cui ministerio sonoram servire campanam beatissimorum statuit consuetudo sanctissima monachorum . (publiée dans REIFFERSCHEID, Anecdota Casinensia , Bratislava, 1872, p. 2) ’ ‘Non seulement pour cette seule œuvre mais aussi pour beaucoup d’autres, tu appelles la bénédiction vers la communauté, bénédiction pour laquelle il est décidé de faire servir la cloche sonore très sainte par le personnel selon l’habitude très sacrée des monastères.’

Les règles monastiques indiquent également cette utilisation. C’est généralement la seule qui soit précisée dans ces documents. En particulier, dans la règle de saint Benoît écrite entre 529 et 543, nous trouvons la mention suivante :

‘Ad horam divini officii mox ut auditum fuerit signum, summa cum festinatione curatur.’ ‘A l’heure de l’office divin, on s’occupera 97 de toutes les cloches avec empressement pour qu’elles soient bien entendues.’

Les œuvres de Grégoire de Tours (fin du VIe siècle) nous indiquent également les motifs de sonnerie que ce personnage connaissait. En l’occurrence, de nombreux extraits sont relativement précis sur la sonnerie des matines et nous en détaillons deux. Dans les Miracles de saint Martin, livre II, chapitre XLV, nous trouvons la mention suivante qui se rapporte à la basilique St Martin de Tours :

‘Quasi signum quod matutinis commoveri solet sonantem audissent.’ ‘Comme s’il était habituel que ce seing soit sonné le matin, ils l’écoutaient sonner.’

Dans l’Historia Francorum, livre III, chapitre XV, vers 576, le texte est encore plus clair, indiquant pour quel office précis la convocation avait lieu. Comme dans le texte précédent, la sonnerie des cloches de la cathédrale de Reims convoque aux matines :

‘Dum per plateam praetirent, signum ad matutinas motum est. Erat enim dies dominica, pulsantesque januam presbyteri ingressi sunt.’ ‘Pendant qu’ils traversaient la place publique, le seing est agité pour les matines. En effet, c’était le jour du Seigneur et ouvrant la porte d’entrée, les prêtres sont entrés.’

Les autres mentions de matines dans les œuvres de Grégoire de Tours qui sont à peu près écrites dans les mêmes termes se trouvent aux références suivantes : Historia Francorum, II, 23 (cathédrale de Reims), Historia Francorum, VI, 25 (cathédrale de Tours), Liber in gloria confessorum, 94 (guérison miraculeuse à St Aubin d’Angers) et Liber de virtutibus S. Martini episcopi, III, 23 (basilique de St Martin de Candes). Au vu de ces extraits, l’une des utilisations principales de la cloche au Haut Moyen Age est donc la convocation aux matines et autres prières. Cependant, la sonnerie des matines apparaît bien comme la plus importante car c’est la sonnerie qui provoque le réveil des fidèles.

Les œuvres de Grégoire de Tours contiennent également des références à la sonnerie d’autres offices religieux. Tout d’abord, dans le Liber vitae patrum, livre VIII, chapitre 11, au sujet de St Nicet, évêque de Lyon, il écrit :

‘Quod presbiter audiens, gavisus iussit signum ad vigilias commoveri.’ ‘Le prêtre entendant cela, il ordonna avec joie d’agiter la cloche pour convoquer aux vigiles.’

Les cloches servent donc également à signaler le dernier office de la journée et sans doute dès l’origine, à sonner tous les offices de la journée canonique.

Une autre occasion de sonner les cloches est offerte pour l’office dominical et Grégoire de Tours le signale dans deux extraits. Tout d’abord, dans le Liber vitae patrum, VII, 2, au sujet de l’ecclesia de Dijon et de saint Grégoire, évêque de Dijon, il écrit :

‘observatores vero ostium baptisterii obseratum invenientes, clave sua solite aperiebant, commotoque signo, sanctus Dei, sicut reliqui, novus ad officium dominicum consurgebat.’ ‘Les observateurs arrivant vraiment à l’entrée close du baptistère, ils ouvrirent comme d’habitude avec la clé, et la cloche agitée, le saint de Dieu, comme abandonné, se rendit à l’office dominical.’

La cloche est donc sonnée tant pour signaler l’office imminent que pour signaler l’entrée des fidèles et ensuite le début de l’office. Cela se vérifiera plus précisément ultérieurement par les écrits de Jean Belethus (voir 3.4.3).

Le second extrait se trouve dans le Liber in gloria martyrum, 75. La scène se déroule à St Maurice d’Agaune et relate la vie d’une sainte femme et le texte expose les motifs de sa sainteté :

‘Surgit mulier longaque ducit suspiria, nec obdormit in stratu suo, donec signum ad consurgendum commoveatur a monachis.’ ‘La femme se leva et tira de longs soupirs et ne dormait pas dans son lit jusqu’à ce que la cloche soit agitée par un moine pour que les gens se lèvent.’

La Règle de saint Benoît, fondateur du monastère d’Aniane en 782, régit également les sonneries de cloches dans le cadre de la vie monacale. Elle porte deux mentions très claires. Seule la première mention concerne une sonnerie de convocation aux offices. Comme dans le cas précédent, il s’agit d’une convocation aux matines.

‘Primitus siquidem quam signum horis nocturnis pulsetur, in fratrum dormitorio schillam tangere jussit, ut prius monachorum congregatio orationibus fulti, propria residerent per loca tunc denum ecclesie hostiis patefactis hospitibus pateretus ingressus. Surgentes vero concite juxta quod regula precipit, fratres aquis se sanctificatis perfundant et cuncta altaria humiliter et cum reverentia percurrant, sic demum a propria loca accedant sintque parati ut, cum tercium pulsaverit signum, absque [mora] surgentes adtoniti auribus sacerdotem expectent, qui officium incipiendi sortitus est . ( Cartulaire des Abbayes d’Aniane et de Gellone , cartulaire d’Aniane, édition Cassan et Meynial, p. 29) ’ ‘Au commencement, puisque ce seing est secoué aux heures nocturnes, on ordonne de secouer la schilla dans le dortoir des frères, alors qu’auparavant la congrégation des moines avaient été éclairées par les prières. Ils s’assoient par dix au lieu prévu dans l’église et accueille les hôtes à l’entrée de l’hospice. En vérité, arrivés ensemble comme la règle le prescrit, les frères s’aspergeaient en se sanctifiant, et humbles devant les autels, parcouraient avec révérence. Ainsi précisément arrivaient-ils dans le lieu approprié et ils s’arrêtent quand le seing est teinté trois fois. Les personnes arrivées selon ce rite attendent le prêtre tiré au sort pour débuter l’office et ses ornements d’or.’

Il est intéressant de noter que dans ce dernier texte, on évoque plusieurs cloches qui ont des utilisations et des localisations différentes. Nous trouvons d’une part la schilla qui se trouve dans le dortoir lui-même. Cette schilla, qui est sans doute de petite taille, est sonnée nuitamment afin de ne pas propager le son sur un trop grand espace et donc de limiter la diffusion du son au seul monastère. Les laïcs ne sont pas convoqués à cet office. Le signum est sans doute réservé aux sonneries diurnes. Il permet d’avertir tous les croyants au-delà de l’enceinte monastique. Ces termes seront définis plus précisément par Durand de Mende au XIIIe siècle (cf. 3.4.3) amis les grands cadres terminologiques sont en place dès le début du Haut Moyen Age.

Notes
97.

C’est-à-dire on sonnera.