2.1.1.3.1 Les qualités sonores : l’apport des textes

Les textes nous apportent quelques rares informations qu’il convient d’exploiter pour comprendre plus précisément la conception des cloches et de leurs propriétés sonores dans la société de ces hautes époques. Deux textes nous fournissent des informations sur ces qualités.

Le premier texte est celui se rapportant à la vie de saint Loup. Cette vie de saint 100 a été rédigée au VIe siècle et reprise au VIIIe siècle. Quelle que soit la réalité des faits rapportés, ils intéressent tout de même le Haut Moyen Age. Plusieurs extraits traitent des cloches :

‘Audito rex Clotharius de signo sancti Stephani 101 , quod miram haberet dulcedinem, jussit illud Parisius deportari, ubi ipsus saepius debuisset audire ( Vita Lupi , chapitre V, n. 21 in Acta Sanctorum , septembre, tome I, p. 262 ou dans Bousquet, Recueil des Historiens de la Gaule , t. III, p. 492 ou M.G.H., Sacr. Rerum Merov., IV, p. 179-187) ’ ‘Le roi Clothaire entendait souvent la cloche de Saint Etienne qui avait une douceur prodigieuse ; il décida de la transporter à Paris où il désirait l’entendre souvent.’

Dans ce texte, qui mentionne le vol des cloches de la cathédrale de Sens par le roi des Francs Clothaire II, on remarque que le roi les choisit du fait de la douceur de leur son qui est très réputée. Cette réputation est parvenue aux oreilles du roi qui a pris alors sa décision. Il est également important de noter que lors du retour des cloches qui refusaient de sonner là où Clothaire II les avait emmenées 102 , l’évêque Loup les entend à plusieurs lieues de la ville. Ces cloches devaient déjà donc être des pièces de taille respectable ayant une portée sonore substantielle ou tout au moins la réalisation de telles pièces était possible au plus tard au VIIIe siècle. L’auteur du texte peut en effet imaginer des cloches d’une telle puissance.

Dans un autre épisode de la vie de ce saint personnage, les cloches jouent encore un rôle : elles effraient Blidebod, membre éminent de l’armée de Clothaire II. Si l’on suit le texte et que le fait narré n’est pas apocryphe, il faut bien noter que pour les Francs ou tout au moins certains d’entre eux ce son est suffisamment nouveau pour que la soudaineté du son puisse les effrayer. Si les cloches apparaissent sans doute au Ve-VIe siècle, elles ne se diffusent donc sans doute largement pas avant le courant du VIe siècle.

Le second texte traitant des qualités sonores des cloches est celui qui transcrit l’inscription de Paternus sur la cloche réalisée pour l’abbaye de Corbie. Ce texte 103 est traduit au chapitre 2.1.2.3.2.1. L’élément intéressant ici est la référence directe aux qualités sonores de la cloche. En effet, l’inscription nous signale que le son n’a pas été ajusté. Cette mention appelle deux explications selon les qualités sonores de la cloche : soit elle n’a pas un très bon son mais on ne savait pas l’ajuster ; soit la note a paru suffisamment correcte tant au fondeur qu’au commanditaire et n’a pas appelé d’améliorations. Il me semble plutôt que la seconde hypothèse doive être retenue : en effet, si la technique d’ajustage des cloches n’était pas connue, il paraît incohérent que l’inscription indique que cela n’a pas été fait. De plus, l’inscription ayant été faite avant la coulée - peut-être en rouleaux de cire ? ? - , le fondeur devait être assez sûr des qualités sonores de son profil pour se risquer à porter cette inscription. On voit donc que la sonorité de la cloche était déjà relativement maîtrisée et qu’au cours du IXe siècle, on pouvait souhaiter en faire un véritable instrument de musique dont le son devait être agréable à l’oreille. Il est important de noter que le texte signale très clairement que la cloche a été la seule fabriquée à cette occasion. Si on peut donc retenir que l’on cherche à faire de la cloche un instrument au son agréable, on ne conçoit pas encore de marier le son de plusieurs cloches pour faire du clocher un instrument de musique.

Il apparaît donc à la lecture des quelques textes signalant les qualités sonores des cloches que très tôt, sans doute dès le VIe siècle, on a souhaité prêter aux cloches des qualités sonores spécifiques simplement pour les rendre agréables à l’oreille. On n’envisage encore pas réellement d’en faire un instrument de musique, c’est-à-dire un carillon. Tout est néanmoins prêt pour une telle évolution.

Notes
100.

Il a vécu au début du VIe siècle.

101.

Saint Etienne, cathédrale de Sens.

102.

Nous n’avons pas repris ici le texte de ce passage.

103.

Anno 835. Et hoc rebus humanis exempto, Harbertus de Corbeia abbas asciscitur, vir bonus et multum laudatus, et abid ad hoc a supradicto imperatore promotus. Erat enim religioni studens, et in construendis sive exornardis rebus operam dans. Testatur campana percelebris eius iussu facta et ecclesiae nostrae donata, in qua sunt versus, qui abbatem et factorem, vel ad quid facta sit, quasi ipsa de se loquente, hoc modo manifestant : HARBERTI IMPERO CAMPANA AB ARTE PATERNI NEC MUSIS DOCTA EN CANTUS MODULABOR AMOENOS NOCTE DIEQUE VIGILI DEPROMAM CARMINA CRISTO (MGH, Scriptores, vol. IV, p. 60).