2.1.2.2.1 Les bronzes binaires (alliage cuivre - étain)

Aucune analyse n’a montré qu’une cloche du Haut Moyen Age était composée d’un alliage binaire. Il est néanmoins probable que la cloche de St Benoît-sur-Loire (45) a une telle composition.

En effet, sa patine, résultat d’un enfouissement de près de dix siècles, est constituée de plaques de couleur alternativement rouge et verte, ces dernières étant les plus grandes et les plus nombreuses. Cette patine pourrait être celle d’un bronze binaire, c’est-à-dire d’un bronze composé exclusivement de deux éléments, en l’occurrence de cuivre et d’étain. Il pourrait donc être assez proche de celui décrit par le moine Théophile (THEOPHILE, 1980 : 80%Cu, 20%Sn 118 ).

Il faut noter que la seule cloche que nous puissions rattacher à cette composition est de relativement petite taille. Les cloches de plus grande taille sont plutôt composées d’un bronze ternaire où il y a apport volontaire de plomb, sans doute pour abaisser la quantité d’étain nécessaire.

Le texte traitant du fondeur Tancho 119 , l’un des plus anciens fondeurs de cloche dont le nom nous soit connu, date de la fin du VIIIe siècle. Il est très instructif sur le type d’alliage utilisé :

‘Erat autem alius opifex in omni opere aeris et vitri cunctis excellentior, cumque Tancho monachus S. Galli campanum optimum conflaret, et ejus sonitum Imperator non mediocriter miraretur, dixit ille praestantissimus in aere Magister : Domine Imperator, jube mihi cuprum multum adferri et excoquam illud ad purum, et in vicem stanni mihi opus est de argento dari, saltem centum libras, et fundo tibi tale Campanum ut istud in ejus comparatione sit mutum… (Monachus Sangalli, De Gestis Beati Caroli Magni , lib. 1, cap. 31 « De Campana », cité in DU CANGE, article Campana , p. 56) ’ ‘Or il y avait un autre artisan qui excellait dans tous les travaux du bronze et de tous les verres. Un jour, Tancho, moine de Saint Gall, fondit la meilleure cloche et son son ne semble pas médiocre à l’Empereur. Le Maître dit qu’elle est la meilleure de bronze : Seigneur Empereur, ordonne-moi d’amener beaucoup de cuivre et de l’épurer par le feu jusqu’à ce qu’il soit très pur. Puis ordonne-moi de placer dans mon œuvre cent livres d’argent au lieu de cent livres d’étain, et je te fondrai une cloche d’une telle qualité que les autres paraîtront muettes en comparaison.’

Dans ce texte, on précise les différents éléments entrant dans la composition de l’alliage. Dans ce cas précis, le moine souhaite remplacer l’étain par de l’argent. La cloche qu’il projette est en effet un cadeau pour l’empereur et il veut ainsi donner une plus grande valeur à son œuvre. Ce texte est sans doute l’une des sources du mythe concernant la composition des cloches. Ce mythe survit encore actuellement. Cette légende veut qu’en remplaçant l’étain du bronze campanaire par de l’argent on obtienne une cloche dont les qualités sonores seraient meilleures. Sur toutes les cloches qui ont pu être analysées 120 et dont la légende rapportait qu’elles contenaient de l’argent, les analystes ont toujours pu montrer l’absence d’argent dans l’alliage, à l’exception de traces qui ne correspondent pas à un apport volontaire. Cet apport légendaire d’argent pourrait donner à la cloche une patine argentée. Cette teinte est celle que nous remarquons sur les cloches composées d’un bronze ternaire (Cu-Sn-Pb). Le mythe des cloches d’argent et les paroles prêtées à Tancho pourraient être issus de l’observation des cloches composées d’un tel bronze. L’apport d’argent permettrait donc d’obtenir cet aspect de surface en valorisant les qualités sonores dans l’esprit des fondeurs et des commanditaires.

Concernant le rapport entre les deux composantes de l’alliage, l’auteur n’est pas très précis. Il évoque simplement la quantité d’argent venant remplacer en totalité l’étain. Dans ce cas, cette quantité est de 100 livres. Si l’on considère que l’alliage projeté par Tancho est celui décrit par le moine Théophile, la cloche produite pèsera environ 500 livres, ce qui correspond à une cloche de dimension relativement importante. Dans le cas de cette composition, il conviendrait de parler d’alliage cuivreux plutôt que de bronze. Tout laisse néanmoins croire qu’une telle composition relève de la mythologie et n’a pas été réalisée. Tout au moins, nous pouvons penser que si une telle cloche a été réalisée, elle n’a pas été utilisée véritablement et est restée un simple objet d’art.

Notes
118.

Nous adoptons cette présentation par facilité de lecture. Cela signifie : 80% de cuivre et 20% d’étain, ces compositions s’entendant en masse, et non en volume.

119.

Ce fondeur est un moine de l’abbaye de Saint Gall (Suisse).

120.

Elles sont peu nombreuses.