Les analyses disponibles nous indiquent toutes que les cloches contiennent une part significative de plomb. Ainsi, à Oldenburg (Holstein, Allemagne), la cloche contient 9,09% de plomb (voir tableau 7, d’après DAS REICH DER SALIER, 1992), ce qui correspond nécessairement à un apport volontaire. Les autres analyses (cloche d’Haithabu 121 (Holstein, Allemagne) et déchet de la fonte de la cloche d’Alet 122 (35)) montrent elles aussi un apport volontaire de plomb. Cet apport est moins important que dans le premier cas : respectivement 6,05% et 3,6% 123 . Les deux cloches analysées ont des compositions voisines pour le cuivre : environ 75%Cu.
Par l’observation des cloches de Géhée (36) et du Puy-en-Velay (43), nous pouvons émettre certaines hypothèses concernant la composition de l’alliage. En effet, les deux cloches qui sont ou étaient encore utilisées jusqu’à une période très récente comme certaines plus récentes (par exemple celle d'Yronde et Buron (63), datant de 1322) présentent une patine différente de la patine bronze habituelle que nous rencontrons sur la majorité des cloches ultérieures. Leur couleur de surface est une couleur tirant vers une teinte argentée mate. Cela implique que le métal n’a sans doute pas la composition standard. En effet, les conditions de conservation et de mise en place des cloches sont plus ou moins les mêmes que celles de la plupart des cloches et la patine ne devrait donc pas être aussi différente. Il est possible que les éléments annexes du cuivre sont, dans ce cas, présents en quantité plus importante que les quantités normalisées par le texte du moine Théophile (80%Cu-20%Sn). Les cloches ayant cette teinte sont donc sans doute des bronzes ternaires, Cu-Sn-Pb, comme ceux mis en évidence sur les cloches d’Oldenburg, d’Haithabu, de Vreden 124 et d’Alet. Ce ne sont pas des bronzes binaires comme celui prôné par le moine Théophile et encore utilisé de nos jours (à quelques précisions près 125 ).
La présence de plomb est généralement réputée mauvaise dans un alliage de cuivre, rendant l’ensemble cassant. L’apport de plomb a sans doute dans ce cas des vertus réelles et n’a pas tellement nui à la résistance au choc du battant puisque certaines de ces cloches ont pu survivre 126 . La différence de composition par rapport aux normes présentées par le moine Théophile est la preuve que l’alliage offrant les qualités sonores optimales n’est pas encore obtenu ou tout au moins pas encore répandu. En effet, la présence de plomb et donc le fait que le bronze soit ternaire pourraient nous indiquer que cet alliage est héritier des bronzes antiques (NICOLINI et PARISOT, 1998). Il serait intéressant de mener une opération d’analyse massive sur les clochettes antiques et sur les quelques cloches du Haut Moyen Age que nous connaissons afin de voir si ces cloches ne seraient pas assez proches des clochettes antiques par leur composition.
La présence d’un tel alliage dans lequel le plomb nuit aux qualités musicales 127 et mécaniques est une chose étonnante. De plus, si on rapproche les données fournies par les analyses des cloches de Vreden, Haithabu et Oldenburg de ce que nous indique le moine de Saint Gall (De Gesti Beati Caroli Magni, cité en 2.1.2.2.1), on voit que la présence de plomb n’est plus souhaitée pour les pièces de grande qualité à la fin du VIIIe siècle. On sait également dès cette époque que la cloche doit contenir du cuivre et de l’étain 128 , que l’on doit longuement épurer (particulièrement le cuivre), pour diminuer les impuretés autant que possible. La présence 129 de plomb est donc sans doute liée à une volonté de limiter les coûts, l’étain étant particulièrement onéreux. On voit ainsi dans les documents modernes concernant les fontes de cloches au XVIIIe siècle dans l’Ain 130 que les tromperies sur l’alliage existent encore couramment à cette période tardive : les fondeurs comptaient en effet sur l’ignorance des communautés acheteuses pour augmenter leurs bénéfices. Il est donc probable que cet apport de plomb permet une économie substantielle pour la communauté et surtout pour le fondeur 131 .
Les cloches présentant un alliage ternaire sont plus grosses que celles semblant présenter un alliage binaire, ce qui pourrait indiquer qu’au début de la production campanaire, deux compositions se sont côtoyées : pour les petites cloches, un alliage presque standard tel que défini postérieurement par le moine Théophile alors que pour les cloches de plus grosse taille, sans doute dans un souci d’économie, le bronze est enrichi de plomb afin de limiter la quantité d’étain utilisé. Ce métal était particulièrement onéreux du fait de sa provenance. Les principaux gisements européens qui sont sans doute les plus utilisés se trouvent en effet en Cornouailles, dans le sud de l’Angleterre.
Hans Drescher (DRESCHER, 1999) propose une hypothèse intéressante pour expliquer la présence de plomb dans l’alliage campanaire de cette première période. Il suppose que face à la forte demande de bronze, on a massivement refondu les pièces de statuaire antique réalisées dans un alliage ternaire afin d’abaisser la température du point de coulée. Cette hypothèse est tout à fait plausible. Le plomb peut également avoir été rajouté à des alliages de récupération dans le même but de faciliter la coulée.
Au vu des quelques analyses disponibles, la composition exacte ne semble pas être standardisée et il est donc probable que la composition indiquée par le moine Théophile est l’aboutissement d’essais empiriques. Cependant, les valeurs enregistrées sont assez peu différentes de celles qu’il fournit. La valeur approximative était donc déjà connue.
DAS REICH DER SALIER, 1992.
LANGOUET, 1987.
Pour cette dernière analyse, il convient de bien noter qu’il s’agit de déchets de la fonte et non de la cloche elle-même, ce qui peut donc produire des modifications notables dans la composition. L’apport volontaire de plomb est néanmoins certain.
Composition : 75% Cu, 19% Sn, 6%Pb. Analyses effectuées par le Rathgen-Forschunglabor de Berlin, sous la direction du Pr. Dr. Josef Riederer (DRESCHER, 1999)
L’alliage actuel est 78%Cu-22%Sn, avec 1% maximum d’impuretés. On s’aperçoit donc que la composition en cuivre est à peu près à mi-distance entre les valeurs du Haut Moyen Age tardif et celles indiquées par le moine Théophile.
Même si certaines (voir la cloche de Fleury) semblent avoir été utilisées assez peu de temps.
Le plomb, rendant l’alliage un peu plus mou, le rend moins sonore, ayant un son moins clair, plus brouillé par de nombreux partiels.
Tancho dit vouloir remplacer ce métal par de l’argent pour améliorer le son, mais il faut ici faire la part du mythe et de la réalité.
Ou plutôt l’apport volontaire au vu des quantités.
Recherches personnelles dans le fond C des archives départementales.
Au vu de ces données, et en particulier la présence de plomb en quantités importantes, il est possible qu’un programme massif d’analyse des cloches anciennes nous permettent de mieux cerner l’évolution des compositions et donc de déceler d’autres cloches anciennes dans nos inventaires.